Dans le genre légendaire, c'est du classique: une grande étiquette - Capitol, dans ce cas-ci - se résout à lancer l'album attendu d'un jeune groupe qui monte, même si elle ne comprend rien à la musique qu'il propose. Bien sûr, comme le veut la légende, l'album a coulé au fond des palmarès de vente. Vingt ans plus tard, toutefois, plus aucun doute ne subsiste quant à la qualité de ce disque et à l'influence qu'il a eue sur le travail de ses pairs. Le voici réédité, Paul's Boutique des Beastie Boys, un album courageux et couillu.

Les jeunes blancs-becs new-yorkais Beastie Boys avaient lancé Licensed to Ill en 1986 (chez Def Jam, produit par Rick Rubin), une galette débile sur laquelle ils revendiquaient le droit de faire la fête à grand renfort de rythmes hip hop et de guitare punk, entre autres choses. Trois ans plus tard, Paul's Boutique confondait les sceptiques par son changement de direction artistique.

 

Le changement venait d'abord de l'intérieur. Mike D, Ad-Rock et MCA avaient été dépeints comme des clowns (c'était mérité...) et leur groupe comme une simple étoile filante dans le firmament de la pop, propulsé par le succès inattendu de niaiseries comme Brass Monkey et Fight For Your Right. S'il devait y avoir une suite aux Beastie Boys, elle devrait se faire avec un peu plus de sérieux.

Les New-Yorkais, alors exilés sur la côte Ouest, recrutent le tandem de producteurs Dust Brothers, qui s'étaient fait connaître en réalisant l'album de Tone Loc, alors une des grandes stars du rap. Leur signature sonore résidait dans cette manière habile de travailler les échantillonnages pour en faire des beats bien frais. Sur Paul's Boutique, ils se sont surpassés - en quantité d'échantillons comme en qualité rythmique.

Les albums à base d'échantillons n'étaient pas nouveaux; quelques mois avant la sortie de Paul's Boutique, le groupe De La Soul offrait d'ailleurs 3 Fret High and Rising, qui récupérait environ 75 échantillons d'autant d'albums différents. Au jeu de la surenchère, les Boys ont fini premiers: 105 sources sonores différentes ont servi à ériger ce classique du rap. Girl Talk n'a rien inventé.

Cent cinq, et non les moindres. Quatre chansons des Beatles (sur The Sound of Science); Time, Breathe et One of These Days de Pink Floyd; Moby Dick, When The Levee Breaks et Good Times Bad Times de Led Zeppelin; The Ramones, Elvis Costello, Jimi Hendrix, Johnny Cash, Alice Cooper, sans compter les sources récurrentes, de James Brown, Isaac Hayes et compagnie. Courageux, les Beastie Boys? Un album pareil, lancé par une grande maison, serait impensable aujourd'hui en raison des astronomiques droits d'utilisation des échantillons.

Or, la grande réussite de ce disque tient d'abord à la capacité qu'avaient les Dust Brothers d'assembler tout ça pour en faire un album cohérent qui garde notre attention de la première à la 15e chanson - sur la version remasterisée, la 15e, B-Boy Bouillabaisse, a été «divisée» en neuf parties. De plus, il faut reconnaître le travail des rappeurs, qui ont affiné leur prosodie et ont ciselé leurs rimes. Les textes sont plus subtils, parfois même graves, et les chansons n'en sont que meilleures.

La version remasterisée pour le 20e anniversaire de Paul's Boutique ne contient aucun inédit. Déception? Pas lorsqu'on met la main sur la superbe édition vinyle (180 grammes), avec la pochette qui se déplie. Et qu'on écoute le disque à nouveau: 20 ans plus tard, Paul's Boutique n'a pas pris une ride. La marque des grands crus.

Les fans sont invités à télécharger gratuitement sur le site officiel des Beastie Boys (beastieboys.com) un fichier mp3 contenant les «commentaires audio» des musiciens sur la conception de Paul's Boutique.

BEASTIE BOYS

PAUL'S BOUTIQUE

CAPITOL/EMI

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