J'ai failli m'étouffer dans mon café en lisant les propos de Charles Aznavour dans mon journal, mardi matin. De passage à Montréal pour parler d'une nouvelle série de spectacles à la Place des Arts intitulée Aznavour en liberté, il est allé au-devant des questions sur la notion de «spectacle d'adieu», précisant qu'il n'avait jamais dit que sa tournée amorcée en 2002 était une tournée d'adieu. Qui donc lui a fait porter ce chapeau? Nous, les journalistes, bien entendu.

L'affaire n'est pas aussi capitale que le sort des enfants haïtiens qui fréquentent l'école au péril de leur vie, c'est entendu. Quel impact ces deux petits mots - «tournée d'adieu» - peuvent-ils bien avoir sinon que de lui faire vendre plus de billets? Or, en laissant entendre que nous avons déformé la réalité concernant sa dernière tournée, M. Aznavour ne fait pas seulement que miner la confiance que vous, lecteurs, nous portez encore, il prend carrément des libertés avec la vérité.

 

Je suis de ces journalistes qui ont rencontré l'icône de la chanson française en janvier 2002 au moment où était annoncée sa «dernière tournée» - ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'affiche de l'époque. Aurait-il fallu comprendre «dernière» dans le sens de plus récente? Allons donc! Aznavour avait déjà 77 ans à l'époque et avait affirmé en conférence de presse qu'il faut «penser à arrêter avant que la voix disparaisse et avant que le visage commence à tomber». Voilà pour la mise en contexte.

Ce jour-là, M. Aznavour a aussi pris le temps de rencontrer des journalistes individuellement. Nous avons brièvement discuté de son programme et puis de ses projets. Il n'avait pas l'intention de prendre sa retraite ni de se retirer de la vie publique et songeait notamment à se mettre sérieusement à son autobiographie. Peut-être aussi à regarder plus sérieusement les offres qu'on lui faisait du côté du cinéma.

Qu'a-t-il dit au sujet des spectacles? Je suis retourné lire mon article publié le 29 janvier 2002. «On ne se retire jamais vraiment, dit-il, parce que si un jour on me demande de remonter sur scène pour une oeuvre de bienfaisance, je le ferai. Uniquement pour une oeuvre de bienfaisance, pas pour autre chose.» Ça ne laisse pas beaucoup de place à l'interprétation.

Aznavour a présenté 15 spectacles à la Place des Arts en 2002. Et il est revenu en 2005 pour sept concerts dans un concept où il était accompagné de l'Orchestre symphonique de Montréal. Le revoilà pour au moins trois autres représentations de ce spectacle qui n'est pas le dernier qu'il fait, mais le dernier qu'il «présente».

Il serait facile de conclure que le chanteur français a choisi sa cause. On se contentera de dire qu'il joue malicieusement avec les mots...