Quand Pauline Julien s'est enlevé la vie à 70 ans, le 1er octobre 1998, elle n'a pas eu d'hommage particulier au gala de l'ADISQ. Elle fut pourtant la première à interpréter Vigneault, Georges Dor et compagnie en France. Et il n'y a rien eu d'officiel non plus, 10 ans plus tard, pour souligner son départ. Sauf un spectacle, intitulé Pauline à la page, créé il y a deux mois et présenté à Montréal ce soir, au Théâtre Outremont. Ce soir, on pourrait avoir l'âme à la Pauline, tendre, tendre...

«On l'oublie, mais la première interprète de La Manic de Georges Dor, c'était Pauline Julien, explique Nelson Minville, concepteur du spectacle Pauline à la page, bien avant que Georges Dor et Donald Lautrec ne la fassent à leur tour.»

 

En fait, on oublie bien des choses à propos de cette femme entière, qui fut interprète ici et en Europe, comédienne, militante, indépendantiste, féministe, travailleuse humanitaire, emprisonnée pendant octobre 1970, compagne du poète et politicien Gérald Godin, de 11 ans son cadet, et avec qui elle allait vivre pendant 32 ans, mère, parolière, auteure... Avant que Godin ne meure d'un cancer du cerveau en 1994 et que Pauline elle-même, atteinte d'aphasie grave, décide une dernière fois de prendre son destin en main et de quitter d'elle-même la vie.

Et il y avait tant de choses parmi lesquelles choisir que Nelson Minville a dû trouver un angle bien précis pour le spectacle: «Et c'est la québécitude de Pauline Julien, explique-t-il. Non, on ne parlera pas de sa période Kurt Weill ou des chansons de son amie Anne Sylvestre, qu'elle a contribué à faire connaître ici. J'ai sciemment choisi ce que j'appellerais les chansons «taguées» Pauline, celles écrites expressément pour elle (par les écrivains Gilbert Langevin, Michel Tremblay, Réjean Ducharme, Denise Boucher, Jean-Claude Germain...) ou par elle. Plus la chanson Mommy (de Gilles Richer et Marc Gélinas) parce que sa version est celle qui marque encore aujourd'hui les esprits....»

«Du feu, cette femme-là!»

Pour redonner vie et voix à Pauline Julien, Minville a fait appel à Pierre Flynn, Mara Tremblay, Monsieur Mono, Viviane Audet, Andréanne Alain, Benoit Paradis, Alecka... «À tous, j'ai envoyé deux ou trois chansons en leur demandant de les travailler comme si elles devaient se retrouver sur leur disque à eux. Je ne voulais pas qu'on fasse un show de voix où on risquait d'imiter Pauline, mais bien un show de musique.»

«Jusqu'à ce que je participe au spectacle, explique Mara Tremblay, Pauline Julien était surtout restée un emblème de la condition féminine. Mais depuis que j'ai lu sa biographie (écrite par Louise Desjardins), j'ai une adoration totale pour elle! C'est du feu, cette femme-là! Quand j'ai entendu L'étoile du nord (de Langevin et Claude Gauthier), j'ai capoté... Mais finalement, c'est Déménager ou rester là (Ducharme et Charlebois) que je chante (rires), que je chante de façon plus enragée!»

Mara chantera également L'âme à la tendresse (écrite par Pauline Julien sur une musique de François Dompierre), accompagnée par Monsieur Mono, alias Éric Goulet: «Moi, je l'identifiais plus comme militante que comme chanteuse, explique Éric Goulet, et j'ai trouvé ça cool qu'on insiste sur son importance comme chanteuse avec ce spectacle. (Le directeur musical) Éric Auclair a vraiment réactualisé ses musiques: dans sa version originale, L'âme à la tendresse, c'était au piano; maintenant, c'est guitare, banjo et nos deux voix, à Mara et à moi. Et d'après Dompierre, qui nous a entendus la jouer - c'était un peu gênant, jouer devant le compositeur! -, ça marche.»

Armé de sa belle voix, de son piano et de son orgue B-3, Pierre Flynn interprétera, lui, Maman, ta fille a un cheveu blanc - dont il avait composé la musique sur un texte de Denise Boucher! - et Le temps des vivants (Langevin, François Cousineau). De toute l'équipe, hormis Monique Giroux qui viendra témoigner de son amitié avec Pauline ce soir, il est le seul à avoir connu Pauline Julien: «Ce n'était pas une intime, mais je faisais partie de la constellation de musiciens qui gravitaient autour d'elle. Et je me rappelle quand je suis allé à sa maison du carré Saint-Louis et qu'elle m'a montré le texte im-pi-toy-a-ble de Maman, ta fille a un cheveu blanc. Ce n'est pas facile, chanter du Pauline Julien, il y a là un vocabulaire de la ferveur, de l'affirmation, d'une certaine candeur qui n'a plus cours aujourd'hui. Mais est-ce que cette candeur, cette ferveur, on pourrait en retrouver une partie?»

Pourquoi pas? Ce soir, la magnifique et troublante chanson L'étranger (paroles de Pauline Julien, musique de Jacques Perron) sera chantée par Alecka, jeune interprète, mais aussi fille de l'écrivaine Abla Farhoud et soeur de Chafik de Loco Locass. Et il y a fort à parier que c'est avec ferveur qu'Alecka chantera qu'on est «toujours l'étranger de quelqu'un» et que «demain, ce sera notre tour, que ferons-nous, que ferons-nous?»

Pauline à la page, ce soir, 20h, au Théâtre Outremont.