La crise des journaux n'a rien à voir avec le géant américain, soutient son vice-président, en entrevue à La Presse.

Aux médias traditionnels qui se plaignent de leur incapacité à rivaliser avec elle et l'accusent de leur livrer une concurrence déloyale, le vice-président de Google responsable de Google News a opposé hier une fin de non-recevoir.

« Ce n'est pas la faute de Google, c'est l'internet qui est arrivé », a résumé Richard Gingras en entrevue à La Presse, au terme d'une conférence organisée par le Conseil des relations internationales de Montréal.

« Ce ne serait pas honnête de dire que Google est la source de ces problèmes. L'environnement a changé. C'est survenu auparavant, quand la télévision est arrivée, par exemple. Ce sont des choses qui arrivent, et ça va probablement arriver de nouveau. »

Un rapport publié récemment par le Forum des politiques publiques du Canada révélait qu'aux États-Unis, Google et Facebook accaparaient à eux deux 90 % de la croissance des revenus publicitaires sur internet. Au Canada, les deux géants américains combinés récolteraient des revenus publicitaires en ligne plus de huit fois supérieurs à ceux des sept principaux éditeurs de journaux regroupés.

« Nous n'avons pris les revenus de personne, a protesté M. Gingras. Et vous feriez bien de ne pas présumer de notre propre succès à long terme. Dans le livre de la publicité numérique, nous n'en sommes probablement qu'au premier chapitre. »

Photo Ramin Talaie, archives Bloomberg

Richard Gingras, vice-président de Google

L'homme considère d'ailleurs comme une « grande menace » la montée en popularité des logiciels permettant de bloquer l'affichage de la publicité, même s'il la dit compréhensible, compte tenu de la mauvaise intégration de la publicité sur certains sites, qui la rend agressante.

Il a vanté le format AMP (Accelerated Mobile Pages), qui permet l'affichage plus rapide des contenus web sur les appareils mobiles. Celui-ci a été développé en partie grâce à la Google Digital News Initiative, fonds de 150 millions d'euros (212 millions de dollars) mis sur pied en Europe pour soutenir les éditeurs de journaux dans leurs efforts de numérisation. M. Gingras a toutefois rapidement exclu la possibilité qu'un tel fonds, mis sur pied au terme de pressions politiques européennes, soit renouvelé ou lancé ailleurs, notamment au Canada.

MISER SUR LA VALEUR AJOUTÉE

Selon lui, les journaux peuvent survivre, notamment en augmentant leur base d'abonnés payants, mais ils doivent d'abord démontrer leur valeur ajoutée.

« On m'a raconté une histoire récemment à propos du Minnesota Star Tribune, qui cherchait à savoir pourquoi ses clients se désabonnaient. Et la raison numéro un était qu'ils s'abonnaient au New York Times. Qu'est-ce que ça dit ? Que les lecteurs du Star Tribune n'avaient pas une forte impression de la valeur ajoutée que le journal leur procurait. »

Les journaux ont aussi leur part de responsabilité à assumer pour endiguer la propagation des fausses nouvelles, selon lui, puisqu'ils exigent peut-être de leurs lecteurs une trop grande connaissance de certains codes. Ainsi, selon lui, il est presque impossible pour un lecteur peu habitué de distinguer dans un quotidien comme le New York Times les articles basés sur des faits de ceux qui expriment une opinion.

« Quand j'étais chez Apple, au début des années 90, nous avons décidé de cesser d'inclure des manuels d'instruction avec nos produits. Il y avait deux raisons. Premièrement, ça épargnait quelques dollars. Mais surtout, ça enlevait une béquille aux designers. On leur disait de créer un produit qui n'avait pas besoin de manuel. Et je pense que ce défi est valable aussi pour nous, que ce soit Google ou les salles de rédaction. »