En quittant TVA pour la chaîne V, où on lui offrait de réaliser son rêve - l'animation d'un talk-show de fin de soirée - , Éric Salvail a vu sa carrière exploser en 2013 pour devenir multiforme. Le populaire animateur revient sur son parcours, remet les pendules à l'heure sur sa supposée omniprésence médiatique et donne les clés de son succès.

Éric Salvail a connu l'une des métamorphoses les plus surprenantes du showbiz québécois de la dernière décennie. On se souvient de lui quand il popotait avec maman Dion, qu'il taquinait les participants d'Occupation double ou qu'il s'amusait avec les vedettes dans des émissions comme Dieu merci! ou Fidèles au poste!. Adoré des grands-mères, apprécié par le grand public, un peu snobé par l'intelligentsia, Éric Salvail semblait confiné à une carrière d'animateur de quiz ou de concepts importés.

C'était avant son arrivée à V. Avant En mode Salvail et la chouette créature qui en est née, Les recettes pompettes. Avant qu'il mette sur pied sa boîte de production, Salvail & Co.

C'était surtout mal connaître ce travailleur acharné qui, avec sa conseillère Marie Routhier, planifiait depuis longtemps la concrétisation de ses rêves. Car Éric Salvail est devenu parfaitement «mainstream», séduisant les 7 à 77 ans, faisant triper les ados des galas KARV comme les madames qu'il va déranger dans les centres commerciaux pour ses topos rigolos... et à peu près tout le monde en saoulant des vedettes devant les caméras.

Comme chouchou du public, il est l'équivalent masculin de Véronique Cloutier. Et comme producteur qui veut séduire tous les réseaux, c'est un acteur de plus en plus important de l'industrie. On n'est pas loin de voir en lui une sorte de sauveur de la télévision généraliste. Ce qui n'est pas très étonnant quand on connaît sa passion pour le petit écran. Et sa compréhension profonde du public, qu'il considère comme son seul patron - «C'est lui, le maître du loft!», tonne-t-il.

«Beaucoup de gens disent qu'ils n'ont pas de plan de carrière, mais ça n'a jamais été mon cas», nous confie-t-il, dans son bureau de la boîte Salvail & Co, au terme d'une autre journée bien remplie.

«J'essaie de me fixer des objectifs. J'ai un livre de notes avec moi tout le temps. Chaque semaine, j'y note des choses qu'il faut que je fasse. C'est quoi, la prochaine étape? Vers où on s'en va? Je me sens en vie quand j'ai des projets. Et on n'arrive pas à ça du jour au lendemain.»

En effet. On connaît tous ses débuts modestes comme animateur de foule pour des tonnes d'émissions animées par d'autres, quelque chose qu'il raconte souvent. C'est manifestement fondamental, puisqu'il nous les raconte encore.

La meilleure des écoles, insiste-t-il, à une époque où «les réseaux n'étaient pas dans une guerre de clochers». Il a travaillé partout et s'est inspiré des meilleurs. Mais surtout, il a compris le public. «Dans tout ce que je fais, je me place dans la peau du téléspectateur parce que c'est lui qu'on vise. Et je suis un téléspectateur: je regarde tout ce que je peux.»

Fuir les prétentieux

Ce qu'on sent chez Salvail, c'est qu'il a l'esprit «people», au sens très large. Les vedettes, le glam, les potins, les fans, le fun: il est comme un poisson dans l'eau dans cet univers. Il parle à n'importe qui, sans exception, connu ou pas. «Les personnes que je n'aime pas se comptent sur deux doigts.»

Il faut le voir aller quand il prend une cinquantaine de «selfies» avec ses fans chaque soir après les enregistrements d'En mode Salvail. On a rarement vu une vedette se dévouer à ce point au «service après-vente», disons.

«Quand j'ai commencé dans le métier comme animateur de foule, j'entendais des régisseurs de plateau dire, à propos du public: "Amenez le troupeau!" Ça me tapait sur les nerfs. Ben chanceux qu'ils viennent, crisse! C'est précieux, un public: ça te donne toute ton ambiance de show. Il faut avoir du respect pour lui et je l'ai depuis le premier jour.»

«Le public n'est pas obligé de venir te voir. Il y a des shows qui courent après leur public. Moi, c'est booké des mois à l'avance.»

«J'ai vu des gens être différents avec le public dans la vie qu'à la télé. Je ne suis pas comme ça. Je pense que c'est une question d'éducation. Je ne suis pas capable de supporter la prétention. Je suis parti de nobody à 2,4 millions de téléspectateurs à Occupation double, et je n'ai jamais eu la grosse tête. Ce n'est pas parce que je suis formidable, mais ma mère n'aurait jamais enduré ça. Les gens prétentieux ne peuvent pas travailler avec moi.»

Savoir s'entourer

Mais ceux qui veulent travailler avec lui doivent avoir le «couteau entre les dents», dit-il. «Savoir bien s'entourer, c'est la clé. J'ai appris ça de Julie Snyder. J'ai besoin de gens qui aiment la télé ou la radio, qui vont mettre tous les efforts. J'ai besoin de ça, sinon tasse-toé de devant moi!»

Salvail a un petit noyau dur de collaborateurs qui sont là depuis des années, comme une garde rapprochée. Sans eux - et tous ceux qui se sont greffés à l'équipe -, il ne pourrait faire tout ce qu'il fait, affirme-t-il. «La question que j'entends le plus souvent, c'est: "Comment tu fais?" Comment? J'ai des équipes extrêmement solides partout. Je ne me questionne pas le soir pour savoir ce que je vais dire le lendemain.»

Il a aussi su organiser son emploi du temps en concentrant toutes ses activités à un seul endroit: L'Astral. Radio, télé, production: il fait tout à la même place, qui est sa deuxième maison, sans avoir à se promener en taxi. «C'est même parfois ma première maison, lance-t-il en riant. Je suis plus souvent ici que chez moi.»

Il commence à être embêté quand on affirme qu'il est «partout» (et ce, même si une publicité de recyclage dans laquelle il joue reprend cette idée). Il souligne qu'il n'est en ondes qu'un peu plus de la moitié de l'année, qu'il n'a pas le temps d'aller dans les shows des autres. Non, il ne craint pas le burnout, parce qu'il est trop heureux dans ce qu'il fait. Il anime même des shows corporatifs l'été pour exercer son muscle de la répartie...

Craint-il la surexposition? Cette question semble le piquer un peu. «Non, parce que je ne suis pas surexposé, répond-il fermement. Je suis le meilleur analyste de ce que je fais, je pense. Je suis plus critique que les critiques. Je participe à toutes les étapes. La surexposition, je ne trouve pas que ça me guette. J'ai des breaks

Devenir producteur

Pour celui qui n'avait aucun intérêt pour les rouages de la production, les temps ont bien changé. Il a mis sur pied Salvail & Co un peu parce qu'il a constaté qu'il faisait un travail de producteur sans en avoir le titre. En trois ans, son entreprise a évolué à vitesse grand V, mais il dit vouloir en conserver le caractère artisanal pour pouvoir tout savoir sur ce qui s'y passe. Il adore ça, même si les désirs de l'animateur entrent parfois en contradiction avec le réalisme du producteur. Mais il a maintenant la liberté, et l'entière confiance de son diffuseur, qui lui donne carte blanche.

«Je n'ai plus envie d'être juste animateur, je veux participer à toute l'affaire. Je ne pourrais plus aller dans une émission où on me dirait seulement: "Tu t'installes là et tu animes."»

Ses concepts séduisent les autres chaînes - il produit la nouvelle émission de Pénélope McQuade, Les échangistes, à Radio-Canada - et le concept des Recettes pompettes a été acheté en France. «C'est nouveau pour moi de produire pour Radio-Canada. Je ne les connais pas. J'ai un petit sentiment de fierté aussi d'être ou d'avoir été sur tous les réseaux.»

Ce qui a changé fondamentalement pour lui depuis 2013? «La confiance en moi. Je dégage ça, mais je suis quelqu'un qui doute beaucoup. Il faut s'entourer de gens qui nous aiment, mais qui nous disent la vérité. Je n'ai pas besoin de flatteries, je veux l'heure juste et mon équipe me remet souvent à ma place! Apprendre à déléguer aussi, ce qui signifie avoir confiance aux autres. La confiance, finalement.»