Que faire pour perpétuer la mémoire de Charlie Hebdo?

En entrevue à France Info, hier, l'avocat du magazine, Richard Malka, a soupiré. «Eh bien, il faut continuer à rire et à sourire.»

Rire malgré la peine, c'est ce que Robert Russel continue volontiers à faire. L'homme est directeur du Cartoonists Rights Network International (CRNI), organisation établie à Washington qui défend la liberté d'expression des caricaturistes du monde entier. «Rire? Ça semble si simple, mais c'est la chose la plus puissante à faire», déclare M. Russel au bout du fil.

La caricature n'est pas qu'un dessin rigolo, rappelle-t-il, c'est aussi l'une des armes que redoutent le plus les puissants. «Les tyrans, les fondamentalistes ne peuvent régner que si on a peur d'eux. Ils dominent par la peur. Si vous riez d'un tyran, vous n'en avez plus peur. Et les caricatures, qui se moquent des riches et des puissants, font rire les gens. Et ça, c'est quelque chose que les tyrans ne supportent pas.»

Deux ennemis, moyennant quelques millions de dollars, peuvent s'affronter avec des chars d'assaut, des soldats, des fusils. Alors qu'un caricaturiste, avec seulement un crayon et une feuille de papier à trente sous, cause des dommages considérables... «En termes d'efficacité et de coût de revient, le caricaturiste assis à son bureau est un type d'ennemi dévastateur pour un tyran!», dit M. Russel.

Et le dessin a une force de frappe plus importante que les mots, estime Robert Russel. «Lorsque vous lisez le journal et que vous allez à la page de l'éditorial, vos yeux sont attirés par la caricature. Même si vous lisez puis oubliez l'éditorial, vous allez vous souvenir de la caricature. Ces images restent collées dans notre esprit.»

Alors, oui, dit Robert Russel, il faut continuer à rire. «Il faut continuer à rire, continuer à vouloir voir ces dessins, continuer à défendre la liberté d'expression même si ça nous heurte, parfois. Avoir de l'imagination, une pensée, des opinions, c'est essentiel à la survie de l'humanité.»

Dessiner, malgré tout

L'horreur de l'attentat de mercredi, survenu dans un pays doté d'une solide tradition de liberté d'expression, peut ébranler les caricaturistes occidentaux, note Robert Russel. «Mais dans la majorité des pays du monde, faire ce travail est tous les jours une question de vie ou de mort, dit-il. Un nombre surprenant de caricaturistes avec qui nous travaillons n'avaient jamais pensé que leur boulot allait leur donner autant de soucis. Ils pensaient faire des dessins rigolos, peut-être prendre certains risques, mais quand le monde leur tombe dessus, ils sont sous le choc, traumatisés.»

Comme le Syrien Akram Raslan, arrêté en 2012, dont on ignore s'il est toujours en vie. Ou la Palestinienne Majda Shaheen, victime de menaces après avoir diffusé sur Facebook un dessin perçu comme une critique du Hamas.

Pour le caricaturiste marocain Khalid Gueddar, vivre sous la menace fait partie du quotidien. L'homme a été traîné devant les tribunaux à deux reprises pour avoir osé caricaturer des membres de la famille royale.

Hier, à Casablanca, il a confié sa peine d'avoir perdu ses amis de Charlie - il les avait tous côtoyés lors d'un stage au journal en 1998.

«Il faut dire au monde entier que Charlie Hebdo n'était pas anti-islam», martèle-t-il. «Mais l'attentat montre que la liberté d'expression est toujours menacée par ce genre de secte qui croit à la violence, qui croit parler au nom de l'islam, alors qu'ils en sont loin.»

«On est toujours menacés», poursuit-il. «Si on n'est pas menacés par des terroristes, on l'est par des lois dans des pays comme le Maroc, où la liberté d'expression vient de naître. On peut être victimes de procès arbitraires pour des dessins bidon. Mais on l'accepte, parce qu'on croit à cette liberté qu'on n'arrachera pas avec des armes, pas avec des assassinats, mais avec nos crayons et nos plumes.»

«Mais on peut dire au monde entier que nous n'avons pas peur. Nos amis de Charlie Hebdo ont payé trop cher, on ne va pas les décevoir. On est là, on est vivants, on va continuer ce combat jusqu'au bout.»