Pionnière de la radio et de la télé au pays, Michelle Tisseyre est décédée dimanche soir à l'âge de 96 ans.

À deux reprises, en 1957 et 1961, le magazine Liberty l'avait désignée comme l'une des dix femmes les plus élégantes au Canada. C'est vrai que le charme et la beauté de l'ancienne animatrice de Radio-Canada irradiaient tous ceux qui la voyaient. 

Michelle Tisseyre est née à Montréal le 13 mai 1918. Son père John G. Ahern, fils d'un chirurgien de l'Hôtel-Dieu de Québec et doyen de la Faculté de médecine de l'Université Laval, est un brillant avocat. Sa mère, Jeanne Marcil, est la fille de Charles Marcil qui fut député de Bonaventure à Ottawa pendant 36 ans. Ses parents se disputent souvent et la mère finira par fuir le domicile conjugal pour retrouver son amant en Suède.

Le père fait voir le monde à sa fille, l'emmène à l'opéra, au concert à New York, au théâtre, et part avec elle en croisière en 1929 en Floride et à Cuba. 

À l'âge de 12 ans, on craint pour elle la tuberculose et c'est ainsi qu'elle sera isolée durant un an au sanatorium de Saranac, dans l'État de New York. Elle fera de bonnes études jusqu'aux portes de l'Université McGill où elle sera la première Canadienne-Française à y être admise. 

Sur ces entrefaites, elle rencontre un beau jeune homme, Jacques de Brabant, alors directeur du complexe hôtelier de l'Estérel dans les Laurentides. Ce premier mariage mettra fin à ses études universitaires. Une union qui ne résistera pas à la Deuxième Guerre mondiale où son mari, mobilisé, tombe amoureux d'une autre femme. Seule, avec la responsabilité d'un enfant, Michelle auditionne à la radio de Radio-Canada. 

Roger Baulu, le prince des annonceurs, l'embauche immédiatement comme annonceuse. Nous sommes en 1941. Elle sera ensuite la première lectrice de bulletins de nouvelles au grand désespoir du célèbre reporter Michel Ouimet  qui considérait qu'une femme lisant les nouvelles de guerre, ça ne fait pas sérieux. 

Qu'importe, la jeune femme est déterminée et talentueuse. Son aisance dans les deux langues officielles lui donnera l'opportunité de travailler aux deux réseaux. On voit aussi son nom sur des affiches de théâtre.

Elle sera affectée pendant deux ans au service international de Radio-Canada à l'émission La voix du Canada où elle fera la rencontre de celui qui, pendant 48 ans, sera l'amour de sa vie, l'éditeur Pierre Tisseyre. 

En 1947, année de son mariage, elle quittera Radio-Canada pour devenir pigiste et se retrouvera à la barre de sa propre émission à CKAC. En 1950, elle reprend le chemin des studios de Radio-Canada où le réalisateur Noël Gauvin lui propose l'animation de Dans la coulisse

Ce même homme qui l'accompagnera aussi comme réalisateur de sa première émission de télévision Télé-Montréal (à l'antenne de 1953 à 1962), qui prendra ensuite le nom de Rendez-vous avec Michelle. 

Mais l'émission phare qui la consacrera comme une vedette, c'est Music-Hall, de 1955 à 1960. C'était le passage obligé de toutes les vedettes locales et internationales. C'est là qu'un chansonnier du nom de Jean-Pierre Ferland fera ses débuts. 

Pour chaque rendez-vous dominical, on créera pour elle une robe nouvelle. Quand elle sera élue Miss Radio Télévision en 1959, c'est le jeune designer Michel Robichaud qui aura l'honneur de concevoir la robe de consécration. 

Parfois, des critiques s'élevaient contre des décolletés jugés vertigineux. L'animatrice de Music-Hall dira que la télévision aura permis de faire passer le Québec du Moyen-Âge à l'âge atomique. Belle, à l'aise financièrement et auréolée de gloire, l'animatrice fera les frais d'une cabale qui finira par la déloger au profit d'Élène Bédard. 

De 1962 à 1970, Michelle Tisseyre se retrouvera en compagnie de Wilfrid Lemoyne à la barre de l'émission Aujourd'hui, un magazine d'affaires publiques qui marquera l'histoire de la télévision comme la première émission à atteindre un million de téléspectateurs. 

Mais encore là, des intrigues finiront par avoir raison d'elle et elle se fera signifier son renvoi. Dégoûtée par le traitement qui lui était réservé, elle mettra un terme à sa carrière d'animatrice. Elle entreprendra une seconde carrière auprès de son mari où elle dirigera aux éditions Pierre Tisseyre, la collection des deux solitudes qui avait pour objectif de faire connaître les auteurs anglo-canadiens aux lecteurs francophones. 

Elle sera aussi une brillante traductrice, ce qui lui vaudra, en 1977, le Prix du Gouverneur général dans la catégorie traduction.

Au plan politique, c'est une fédéraliste convaincue qui montera au front lors de la campagne référendaire de 1980. Mme Tisseyre fera une sortie retentissante au Forum de Montréal devant 15000 personnes, surtout des femmes, survoltées. 

Dans sa vie privée, la mère de l'animateur Charles Tisseyre ne sera pas au bout de ses peines. Elle s'occupera de sa mère diminuée qui avait connue les affres de l'internement psychiatrique. 

Le 26 mai 1977, sa petite-fille Yaya se noie. Le malheur frappera encore le 28 juillet 1993, lorsque son fils François perdra la vie dans un accident d'avion. Puis le 3 mars 1995, son mari meurt. 

À chaque fois, Michelle Tisseyre fait preuve d'une dignité admirable. D'autant plus que depuis quelques années, elle devait composer avec une prothèse à la hanche et un stimulateur cardiaque. Elle trouvera le temps d'écrire ses Mémoires intimes, en 1998.