Radio-Canada n'a pas encore décidé si elle portera en Cour suprême le jugement qui la force à remettre des documents internes à des concurrents, mais le diffuseur public s'est bien fait avertir jeudi par les conservateurs de ne rien faire, car cela gaspillerait encore plus l'argent des contribuables.

Mercredi, la Cour d'appel fédérale a donné raison à la commissaire à l'information qui estime qu'elle a le droit de forcer Radio-Canada à lui remettre les documents réclamés en vertu de demandes d'accès pour ensuite décider elle-même s'ils doivent être transmis à ceux qui formulent les demandes.

Radio-Canada avait jusque-là refusé de divulguer bon nombre de documents, affirmant que la loi l'exempte de dévoiler des documents qui touchent ses activités journalistiques et créatives, ainsi que sa programmation. Sinon, elle se trouverait à donner un avantage commercial à ses concurrents, dont Quebecor, a-t-elle notamment plaidé.

Ce dossier est devenu hautement politique alors que Radio-Canada se trouve dans la mire des conservateurs qui remettent en question son existence et l'octroi de son budget.

Comparaissant jeudi devant un comité parlementaire qui examinait toute cette affaire, le président-directeur général de Radio-Canada, Hubert Lacroix, s'est fait demander à plusieurs reprises par des députés conservateurs s'il allait en appeler du jugement.

M. Lacroix a répliqué qu'aucune décision n'avait encore été prise et qu'il étudiait le jugement. La décision sera prise dans les prochains jours, a-t-il assuré.

Les députés conservateurs sont revenus à la charge en lui signifiant que dans l'intérêt des contribuables, ils espéraient que cette affaire «n'aille pas plus loin», et qu'un appel paraîtrait «très mal» pour Radio-Canada, affirmant même qu'il s'agirait d'un «oeil au beurre noir».

Attaqué par les députés, M. Lacroix a argumenté que la loi n'est pas claire sur l'exemption accordée au travail journalistique des médias et qu'il serait bon que son interprétation soit clarifiée par les tribunaux.

Insatisfaite, la conservatrice Joy Smith a poursuivi: «Sur l'appel. On n'a pas eu cette clarification de votre part. Ce qu'on a entendu est: «on va regarder et après on verra»'.

«Mais le fait est que Radio-Canada reçoit une masse d'argent des contribuables. Nous sommes en plein milieu d'une crise économique. Ce que les contribuables veulent savoir est si vous allez dépenser encore plus de leur argent?», a-t-elle demandé, suscitant des soupirs de M. Lacroix.

Celui-ci a rétorqué que le premier ministre Stephen Harper, deux ministères et la Gendarmerie royale du Canada sont allés jusqu'en Cour suprême en raison d'un conflit avec la commissaire à l'information et que personne ne leur a dit qu'ils gaspillaient l'argent des contribuables. Ces parties croyaient qu'elles avaient un argument valable à faire valoir et elles ont gagné, a-t-il fait ressortir.

Dans cette affaire qui était devant les tribunaux, les documents réclamés concernaient notamment le salaire des employés de Radio-Canada, son parc de véhicules, un documentaire sur les Nordiques, le budget consacré aux festivités du 75e anniversaire de la société d'État et celui de l'émission «Le Club des Ex».

Radio-Canada se trouve ainsi dans une position délicate, en se faisant dire par les représentants du gouvernement - ceux-là même qui approuvent son budget et la menacent de compressions - de ne pas porter la cause en appel.

Questionné par les journalistes après son témoignage, M. Lacroix a pourtant été ferme.

«Désolé, mais ce ne sont pas les membres du comité qui vont décider pour Radio-Canada-CBC», a-t-il affirmé.

Quant au député conservateur Dean Del Mastro, qui depuis des semaines mène la charge en comité contre le diffuseur public, il a expliqué qu'un appel serait une mauvaise décision, mais que les propos de ses collègues relevaient plus de l'espoir que de l'avertissement.

Il a nié qu'il s'agissait d'interférence gouvernementale dans les affaires de Radio-Canada.

«Ils ne leur disaient pas de ne pas en appeler. Ils disaient qu'ils 'espéraient» qu'ils ne le feraient pas», a-t-il précisé.

«Les Canadiens ne sont pas confortables avec cela. Ils veulent que Radio-Canada soit transparente et rende des comptes», a-t-il ajouté jeudi matin.

À ce sujet, Hubert Lacroix a profité de son témoignage pour rappeler aux membres du comité la série de mécanismes auxquels est assujetti le radiodiffuseur public pour rendre des comptes aux Canadiens.

Un communiqué diffusé en après-midi par Radio-Canada au sujet du jugement de la Cour d'appel pourrait calmer les conservateurs.

«Suite à une première lecture, il semble clarifier la décision du juge Boivin (du tribunal inférieur) d'une manière qui pourrait satisfaire la plupart de nos préoccupations», écrit M. Lacroix.

Les députés conservateurs sur le comité trouvent inacceptable que le diffuseur public - financé par les contribuables - soit en litige à ce sujet avec la commissaire à l'accès à l'information - également financée par les contribuables - devant des tribunaux aussi payés par la population.

Selon le néo-démocrate Alexandre Boulerice qui siège au comité, des décisions de ce genre ne doivent pas être prises seulement en fonction des coûts qu'elles peuvent occasionner.

«Si Radio-Canada pense qu'il y a une bonne cause et que ça vaut la peine, c'est à eux de le décider. Ensuite de ça ils devront rendre des comptes sur le choix qu'ils font. Les conservateurs se sont exprimés là-dessus mais je n'ai pas trouvé que c'était abusif de leur part», a-t-il jugé.

Il a par contre exprimé certaines craintes sur les intentions du gouvernement.

«On pense que les conservateurs ont un «agenda» très clair d'attaquer Radio-Canada et d'essayer de miner sa crédibilité et ça c'est dangereux pour la diversité des voix en information puis pour le pôle public en ce concerne la démocratie», a-t-il conclu.