On parle beaucoup du rôle des médias depuis le début de la crise qui secoue l'Égypte. Avec raison puisqu'ils sont au coeur des événements qui ont débuté il y a 14 jours.

Au cours de la semaine, on a pu lire à plusieurs reprises que la révolte populaire avait eu lieu grâce à Twitter et Facebook, une affirmation qui a profondément irrité Malcolm Gladwell. Le journaliste du New Yorker, qui a écrit à quelques reprises sur la question au cours des derniers mois, écrit sur son blogue: «Le fait le moins intéressant de cette affaire est de savoir si les protestataires ont à un moment ou à un autre utilisé les outils des nouveaux médias pour communiquer entre eux. S'il vous plaît... Les gens protestaient et faisaient tomber les gouvernements bien avant que Facebook eut été inventé. La façon dont ils le font est bien moins intéressante que les raisons qui les ont poussés à le faire. «

J'ai beaucoup de respect pour Malcolm Gladwell, mais je crois que, dans le cas de l'Égypte, il passe à côté de la vraie question.

Depuis le début de cette crise, il est clair que les médias, sociaux et traditionnels, sont un enjeu majeur. On ne dit pas qu'ils ont provoqué la révolution, mais ils en font partie. Preuve en est la volonté du gouvernement Moubarak de contrôler les médias par tous les moyens possible.

Les exemples sont nombreux. Par exemple, un des premiers gestes du gouvernement Moubarak a été de couper l'accès à internet (utilisé par environ un quart de la population égyptienne), qui n'a été rétabli que mercredi dernier. En tentant de couper les fils de la toile, espérait-on, la révolution s'essoufflerait. La riposte occidentale ne s'est pas fait attendre: Google a mis sur pied un service téléphonique qui prenait en note les commentaires des Égyptiens pour les relayer sur Twitter. L'initiative n'a peut-être pas attiré des millions de personnes, mais elle avait une valeur symbolique: nous ne nous tairons pas.

Le gouvernement Moubarak a contre-attaqué en envoyant ses propres messages. Jeudi dernier, la compagnie Vodafone a dénoncé par communiqué l'envoi de messages textes du gouvernement Moubarak sur son service de téléphonie mobile. Cette usurpation (car l'émetteur des messages n'était pas identifié) est permise, semble-t-il, par la loi égyptienne sur les télécommunications. On peut parler d'une guerre de propagande.

Enfin, vendredi dernier, on a appris que les bureaux d'Al-Jazira au Caire avaient été saccagés. Plus tôt dans la semaine, le gouvernement Moubarak avait tenté de faire taire la télévision arabe accusée d'avoir adopté un parti pris anti-Moubarak. Ses journalistes ont été les premiers à être expulsés.

À travers tout ça, il y a le traitement réservé aux journalistes étrangers qui relaient propos et images au reste du monde, accentuant la pression des gouvernements occidentaux sur le gouvernement égyptien. Intimidés, menacés, battus, expulsés, les journalistes sont devenus, malgré eux, acteurs de la crise qui ébranle l'Égypte alors que leur métier consiste à observer et à rapporter.

Le gouvernement Moubarak a rêvé durant quelques heures de réprimer la voix des Égyptiens à l'abri du regard scrutateur des médias. Il aura réalisé qu'à l'heure de Twitter et Facebook et des téléphones mobiles, un tel geste est impossible.