« Les miracles n’existent que pour ceux qui y croient », écrit Jean-Paul Daoust dans Les miroirs de l’ombre. Malgré les nombreuses raisons de désespérer que lui a fournies la vie au cours des dernières années, le poète, lui, s’entête à y croire.

Jean-Paul Daoust, vêtu avec une flamboyance qui aurait forcé l’admiration de Louis XIV, nous accueille au salon de son pied-à-terre montréalais, dans le Village, où, comme il se doit, nous boirons des bulles. Être encore de ce monde représente plus que jamais une occasion suffisante de trinquer.

S’il passe la majorité de son temps dans sa paisible campagne de Sainte-Mélanie, le dandy n’a en réalité jamais habité ailleurs qu’au pays de la mélancolie, comprend-on en lisant Les miroirs de l’ombre, son plus récent livre, probablement un de ses derniers, préviendra-t-il.

« Mélancolique, moi ? », répète en souriant celui qui assimile à sa « vie secrète » cette incurable inclination, que les atours et les rires ne sont jamais pourtant complètement parvenus à camoufler.

Elle s’est d’ailleurs toujours terré quelque part au fond de cette voix reconnaissable entre toutes, aujourd’hui un peu émoussée par quelques pénibles épisodes de maladie.

Notre hôte se lève, passe à la cuisine, en rapporte la bouteille de mousseux et une liasse de feuilles. En gras, au haut de la première page, une citation de Danièle Sallenave : « Issue de la mélancolie, la littérature en est l’accomplissement et l’achèvement. C’est par la mélancolie qu’on entre en littérature. C’est par la littérature qu’on sort de la mélancolie. »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Jean-Paul Daoust

« Pour moi, la mélancolie, c’est positif », précise Jean-Paul. « Je dis souvent que c’est une tristesse qui se repose. La mélancolie n’a rien à voir avec la nostalgie, qui est un sentiment clos, stérile. Mais je pense qu’au fur et à mesure qu’on vieillit, on devient de plus en plus mélancolique. »

Les infinies possibilités de la douleur

Peuplé par les fantômes de son riche passé, Les miroirs de l’ombre est un recueil à la fois parfaitement en phase avec le reste de son œuvre où les formules délicieuses abondent – personne d’autre que Jean-Paul ne chante aussi bien « l’audace de se ruiner avec élégance » –, mais sur lequel flotte l’ombre de la mort.

Dans ces textes en prose aussi bien tassés que ses fameux rhum & coke, le poète recense ses échecs, ses névroses et ses extases, salue les amants et les amis disparus, prend la mesure du peu de temps qui lui reste, même s’il refuse de quitter la fête avant d’avoir écrit « le vers ultime ».

À la fin de 2021, Jean-Paul Daoust a failli y passer, à la suite de complications provoquées par une opération au poumon gauche, où on lui avait découvert un cancer. Des évènements qui l’ont « brutalement » contraint à regarder sa finitude dans les yeux. À 77 ans, plus aucun verre n’est assez fort pour oblitérer sa conscience que « tout peut se terminer de façon aussi absurde ».

« Les infinies possibilités de la douleur. Surtout celles de l’âme », écrit-il.

Une douleur physique amène tout le temps un aspect psychique, tu ne peux pas séparer les deux. Quand tu souffres physiquement, le monde t’échappe. La douleur affecte la sensibilité, elle insulte l’intelligence. La douleur est un espace d’infinie solitude.

Jean-Paul Daoust

Comme Adam au paradis terrestre

Mais Jean-Paul Daoust continue de croire aux miracles, ne serait-ce que parce que la vie lui a souvent offert la preuve que malgré sa cruauté, elle est aussi une fête. Depuis maintenant près de 39 ans, l’écrivain partage son quotidien avec Mario, en apparence l’homme le plus gentil du monde entier.

D’autres petits miracles ? Il en a plein la mémoire : recevoir de Venise une carte postale d’Allen Ginsberg, après lui avoir laissé à New York un exemplaire d’un de ses livres traduits en anglais. Entonner À qui le p’tit cœur après neuf heures ? avec Anne Hébert et Andrée Lachapelle lors d’un party chez Anne-Marie Alonzo. Participer pendant onze ans aux cabarets radiophoniques de Marie-Louise Arsenault, une tribune dont il est encore en deuil.

PHOTO ANDRÉ TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Paul Daoust sur scène en 2006

Ne s’agit-il pas d’un autre magnifique miracle que, de ses petits poèmes publiés dans la revue de son collège, à Valleyfield, aient émergé plusieurs livres fondateurs de la littérature queer québécoise ? Une œuvre dont le parti pris pour une langue qui éblouit aura converti plusieurs néophytes à la poésie.

« Dresser les mots revient à valser avec les fauves », écrit celui qui, après avoir raconté dans Les cendres bleues (1990) les abus qu’il a vécus enfant aura traversé à genoux le désert d’une longue dépression.

« L’écriture nous amène dans des endroits où on ne pensait pas aller, des endroits dangereux où tu es seul avec tes démons, fait remarquer Jean-Paul. Mais l’écriture me rend aussi plus vivant. J’ai l’impression, quand j’écris, que je vis plus, que je comprends davantage ce qui m’arrive. J’aime beaucoup l’image d’Adam au paradis terrestre qui nomme les choses. Au fur et à mesure qu’il les nomme, elles lui appartiennent. L’écriture me permet de donner un sens à tout ce qui n’en a pas. »

Les miroirs de l’ombre

Les miroirs de l’ombre

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96 pages