En 2010, d'aucuns croient que le spleen pourrait avoir un nom sur la planète indie: The National. Le groupe américain est-il le plus apte à vous mettre le moral à zéro... c'est-à-dire dans un état proche de l'Ohio pour citer la chanson de Serge Gainsbourg qu'Isabelle Adjani a popularisée jadis?

Aurez-vous deviné que The National, excellent groupe de Brooklyn, s'était constitué dans l'Ohio, une décennie plus tôt. Toutefois, rien n'est moins sûr que Matt Berninger et ses collègues (deux paires de frangins, familles Dessner et Devendorf) aient envie de porter le drapeau de la neurasthénie.

Apparences de cliché, laisse entendre poliment le chanteur et parolier américain, un garçon charmant et d'autant plus loquace.

«Je n'ai pas l'objectif d'être lugubre. C'est plutôt ma manière inconsciente d'être cathartique. Vous savez, je suis un mec plutôt heureux! Et je trouve sain de laisser s'échapper mon côté sombre lorsque j'écris. Il faut dire aussi que la plupart de mes chansons plus grises comportent quelque chose de doux et de tendre.»

Matt Berninger hausse aussi les épaules lorsqu'on suggère les comparaisons récurrentes de The National avec Joy Division, The Smiths, Tindersticks ou même Bruce Springsteen.

«Trop de journalistes de musique lisent d'autres journalistes de musique, pour généraiser de cette façon. Ces comparaisons ne sont pas fausses, remarquez. Bryan Devendorf, notre batteur, est fan de Stephen Morris - de New Order/Joy Division. Je suis un baryton et il m'arrive souvent de chanter des thèmes sombres, j'admets être comparé à Ian Curtis. J'ai découvert Tindersticks après qu'on ait comparé The National à ce groupe anglais... avec raison!  Nos influences en fait, sont beaucoup plus vastes et d'autant plus hétérogènes ; Simon & Garfunkel, Pixies, la musique classique, The Grateful Dead, musique de skaters, Billy Bragg, Charlatans UK, Icycle Works, New Model Army, et tant d'autres.»

Les textes de Matt Berninger, eux, se passent de comparaisons.

«Parce je ne jouais pas de guitare, rappelle-t-il humblement, c'était la seule chose que je savais faire. Franchement, j'ai travaillé très fort. Même pour le tout premier album il y a dix ans, je me suis appliqué à bien écrire. Je crois même que je m'améliore, si ce n'est dans l'équilibre entre les ingrédients. S'y mêlent mieux la matière comique, la matière durement ressentie, la matière de l'anxiété et tout ces petits détails qui font une différence.»

Chose certaine, Matt Berninguer et les frères Devendorf/Dessner ne se tiennent pas pour acquis.

«L'aventure demeure excitante car n'avons toujours pas atteint ce point de saturation où nous ne sommes plus capables de nous critiquer nous-mêmes. Nous savons ce que nous faisons, nous ne sommes pas désillusionnés, nous sommes encore capables de reconnaître la bonne, moyenne ou mauvaise qualité de notre travail.  Si, d'ailleurs, ça nous a pris beaucoup de temps pour sortir ce disque, c'est parce que nous avons longtemps estimé qu'il n'était pas assez bon!

«Nous avons appris de plusieurs manières à nous faire confiance, développer nos idées, ne pas avoir peur de la polémique, garder le cap. Bien sûr, ça a créé des tensions, des problèmes de relation... Comme dans une famille, quoi. Avant la sortie de High Violet, nous étions anxieux, c'est-à-dire pas certains que les fans s'y connecteraient. Mais nous étions heureux et fiers de cet album avant même de l'avoir fait écouter à quiconque. Depuis la sortie de l'album ce printemps, les réactions très positive nous confirment que nous étions dans la bonne voie.»

High Violet, le cinquième album de The National, réjouit Matt Berninger.

«Un des objectifs était de créer une atmosphère ni trop polie ni trop raffinée. Nous recherchions des sons vilains, crus. Nous voulions conserver plusieurs esquisses, maquettes, premières prises de son. En même temps, nous voulions exploiter de fines orchestrations,  clarinettes, cordes, instruments à vent. Ce n'était pas du glaçage, c'était le projet. Ainsi, quatre ou cinq chansons de High Violet conservent cette facture spontanée, indolente, crue et s'opposent aux orchestrations raffinées qui rejaillissent dans le reste de l'album. Nous avons, je crois,  relevé le défi : cet album est à la fois desserré et très développé.»

Lancé trois ans plus tôt, l'album Boxer avait été un déclencheur émotionnel pour des centaines de milliers de fans. En 2005, Alligator avait aussi marqué l'imaginaire.

«Alligator, Boxer et High Violet sont des cousins germains, tout comme le EP The Cherry Tree qui les avait précédés. C'est à partir de là que nous avons vraiment maîtrisé notre métier.  Mais je continue d'aimer les premiers albums - le premier sans titre et le second, Sad Songs For Dirty Lovers. C'était bien d'être insouciant, spontané, moins perfectionniste mais... on ne peut passer sa vie d'artiste ainsi.

«Pour chaque album, en tout cas, nous avons conquis une nouvelle cohorte de fans. Il est amusant de les voir débattre de la pertinence de nos albums, lequel est le meilleur. Nos fans feront bien ce qu'ils voudront! Chose sûre, nous savons qu'ils sont difficiles à contenter. Et je souhaite sincèrement qu'ils apprécient High Violet. Car cet album est, je crois, notre meilleur, le mieux maîtrisé. Bien sûr... c'est ce que disent les artistes en général lorsqu'ils parlent de leur dernier album», échappe le chanteur, autodérisoire.

Et la scène? Cet été, The National prend aussi du gallon en défendant la matière de High Violet.

«Nous faisons beaucoup de festival et nous jouons dans autant de salles. Dans tous les marchés, la quantité de festivals ne cesse d'augmenter. Et c'est une bonne chose pour les groupes de toutes tailles et tous rayonnements que de pouvoir accéder à ces scènes. Vous y êtes très bien payés et vous pouvez y faire le plein de nouveaux fans qui n'avaient jamais entendu parler de vous auparavant.

«Vu notre impact un peu plus important, nous y jouons de plus en plus tard et nos séquences y sont de plus en plus longues, ce qui commence à ressembler à nos concerts en salle. Nous pouvons y réunir jusqu'à huit musiciens sur scène - renforts à l'alto, violon, trombone, trompette. Un concert en salle à Montréal? C'est loin d'être exclu dans un avenir assez proche, au plus tard en 2011.»

Dans un avenir proche... mais pas si proche de l'Ohio.

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Dans le cadre du festival Osheaga, The National se produit demain à 20 h 15 au parc Jean-Drapeau, scène de la Montagne.