Les albums Lakou Trankil (2005) et Référence (2008) ont mené à croire que cet auteur, compositeur, guitariste et interprète s'inscrivait dans la lignée des plus doués créateurs de chanson haïtienne: Martha Jean-Claude, Manno Charlemagne, Beethova Obas, on en passe. Après s'être illustré sur ces tribunes relativement communautaires, voilà que nous découvrons avec un certain décalage l'opus Haïti debout (Ayiti doubout en créole), dont le contenu sera mis en relief aux Nuits d'Afrique.

Sur scène, peu d'occasions ont permis aux Montréalais de connaître BélO: brève apparition au défunt Festival de musique haïtienne de Montréal en juillet 2008, récital de solidarité pour la reconstruction haïtienne en avril 2010 et puis le revoilà ce dimanche au Cabaret du Mile-End, où il pourra enfin déborder le cadre communautaire de sa notoriété.

Débarqué dans notre île quelques jours avant sa performance, BélO se prête courtoisement au résumé de sa trajectoire discographique:

«Lakou Trankil, mon premier album, avait été réalisé par l'Haïtien Fabrice Rouzier (Mizik Mizik), qui m'a ensuite suggéré de travailler avec un réalisateur américain afin d'étendre mon rayonnement. Ainsi, Référence fut réalisé par l'Américain Andy Barrow, qui assure aussi la supervision d'Haïti avec d'autres réalisateurs dont Fabrice Rouzier.»

À la suite du terrible séisme de 2010, BélO a multiplié les concerts bénéfices à travers le monde. Les escales françaises lui ont valu un «visa pour la création» dans l'Hexagone, ce qui lui a permis d'y passer plusieurs mois.

«Plusieurs sessions d'enregistrement d'Haïti debout ont été faites à Paris, d'ailleurs avec plusieurs musiciens africains et antillais installés là-bas. Sur l'album, donc, on retrouve un mélange de musiciens haïtiens, américains, antillais, africains: le multi-instrumentiste Andy Barrow, le claviériste Fabrice Rouzier, le bassiste guadeloupéen Thierry Fanfant, le chanteur camerounais Blick Bassy, le percussionniste malien Mamadou Koné, etc. Il faut savoir s'entourer de bons musiciens!»

On peut dire néanmoins que BélO jouit d'un succès d'estime, encore en 2012. Ce qui ne lui permet pas de tourner avec une grosse machine. Ainsi, il doit monter différents groupes d'accompagnement dans les différents marchés qu'il fréquente; noyau d'accompagnateurs à Port-au-Prince, groupe à New York, un autre à Miami, deux autres en France ou même un à Montréal - formation essentiellement composée de Québécois d'origine haïtienne qui a déjà accompagné BélO en 2010.

On se doute bien que toutes ces formations sont en mesure de saisir la mixtion que préconise leur employeur: rara, vaudou, troubadour haïtiens, mais aussi funk, reggae et plus encore.

«Ce mélange est à l'image de mon pays. En Haïti, nous sommes exposés à une mosaïque de cultures musicales. La musique américaine y est très présente et se greffe à notre patrimoine africain, notre passé de colonie française ou notre voisinage avec les Antilles créoles, anglophones ou hispanophones.»

Écrits pour la plupart en créole haïtien, les textes de BélO dressent un portrait sensible et lucide de son île à la fois souffrante et remplie d'espoir. L'exode des jeunes, l'éclat perdu, les inégalités sociales, la violence urbaine, le gangstérisme, l'environnement malade, les difficultés politiques et la misère sont autant de thèmes qui cohabitent avec ceux de l'amour, de la tendresse ou de la reconstruction.

Ce fier résidant de Pétionville demeure tout de même réaliste dans le contexte post-séisme:

«C'est très lent, beaucoup trop lent et l'aide internationale promise ne vient pas. Il n'y a presque rien de concret... C'est vrai qu'on a commencé à démanteler des camps de fortune mais c'est bien peu par rapport à ce qu'il reste à accomplir. On verra bien ce que pourra réaliser le nouveau premier ministre Laurent Lamothe, qui vient à peine d'être nommé. La politique en Haïti, vous savez, ce n'est pas facile. Et quand tu n'es pas politicien, c'est encore plus difficile.»

Visiblement, la conjoncture traverse la perception sensible de BélO qui y puise la majorité de ses sujets.

«Vous savez, tient-il à souligner, je n'ai pas choisi d'être chanteur engagé. Je le suis par la force des choses car je suis citoyen et j'ai un certain talent pour raconter. Mes chansons représentent ma passion, mais aussi ma façon de contribuer. Je le ferai jusqu'à la mort si c'est nécessaire. Ce n'est quand même pas une tâche à prendre à la légère! Au fond, je préférerais chanter les jolies plages et les femmes magnifiques de mon pays mais... sachant qu'il y a autant de problèmes, que ma société est malade, ça me ferait mal de ne pas en parler. Je souhaite qu'un jour ces problèmes ne seront plus d'actualité,  je pourrai alors chanter autre chose.»

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Dans le cadre des Nuits d'Afrique, BélO se produit dimanche, 20h30, au Cabaret du Mile-End.