Si vous avez vu deux personnes les yeux bandés discuter dans un café de l'avenue Laurier, lundi dernier, c'est la faute à Stefie Shock. Il nous a en effet proposé ce concept d'entrevue pour souligner l'univers nocturne de son dernier album, Avant l'aube, et de son spectacle, présenté ce soir au Club Soda dans le cadre de Montréal en lumière. Récit de notre discussion.

Émilie: Je ne vois rien.

Stefie: Promis?

Pourquoi avoir les yeux bandés pour l'entrevue?

Le thème de mon show est la nuit. Il y aura des moments d'obscurité. J'essaie de jouer sur plusieurs tableaux de la nuit. Je suis un oiseau de nuit depuis l'enfance. J'allais me coucher à contrecoeur. Cela n'a pas vraiment changé. Quand je me couche, je ne suis jamais content. Mais je suis content le matin quand je dors. Hier, j'ai arrêté de travailler à 3h et je me suis couché à 4h; ce n'était pas avec gaieté de coeur. Avant, je faisais cela jusqu'à l'aube, mais plus maintenant.

Avant l'aube est justement le titre de ton dernier album.

En fait, toutes les chansons de tous mes albums ont été écrites la nuit. [...] C'est bizarre, j'ai l'impression de mal contrôler mon volume.

Moi, j'entends les bruits de vaisselle très fort. [...] Ton album comprend plusieurs duos...

... avec Amélie Mandeville. Pour la dernière portion de tournée de La mécanique de l'amour [son album précédent], il y avait juste Amélie et moi... Cela m'a orienté autrement. Quand j'ai commencé à travailler à de nouvelles chansons, j'ai fait appel très tôt à Amélie pour l'écriture et la composition... Je lui ai envoyé, ainsi qu'à son chum, Jean-Luc Huet, le guitariste de Champion, une toune à laquelle je travaille depuis 20 ans, Want You To Want Me. J'avais voulu l'enregistrer sur mon premier disque, mais cela n'allait nulle part. Cette fois-là, ça a marché. Et ça a stimulé la suite des choses. Mais Amélie et moi n'avons fait aucune séance de travail ensemble. Nous avons simplement échangé des MP3 avec un ping-pong d'idées. Je ne suis pas capable de travailler avec d'autres au moment de la création. Je suis seul dans mon studio chez moi.

On ne sent de ta part aucune censure sur cet album. Tu pars dans plusieurs directions avec des reprises (Everybody Knows de Cohen, Madame Rêve de Bashung).

La toune de Cohen, je l'ai arrangée comme je l'aurais composée. À un moment donné, j'ai eu un flash disco dark et je me suis permis quelques libertés.

Et la toune country, Le cowboy chantant (tard, tard)?

Il y a une vieille devinette qui dit: à quelle heure se couchent les cowboys? Pas tard, pas tard. À un moment donné, je l'ai appliquée à moi et la réponse serait «tard, tard». J'ai enregistré cela dans mon dictaphone, j'ai fait écouter cela à Amélie... Cela devait être juste un interlude, mais je tripais tellement que des paroles et le refrain me sont venus. C'est ça, l'affaire avec les idées: on ne contrôle pas tout... C'est très insécurisant quand on y pense. Un dentiste ne se pose pas ces questions-là pour faire un traitement de canal!

En même temps, le dentiste sait où il va être demain matin. C'est plate.

C'est ça avoir un métier qui demande de générer des idées. C'est imprévisible. Et quand tu as des idées, c'est fou comme c'est revitalisant.

Tu évoques tes troubles d'anxiété dans ta chanson Hello docteur. Tu as récemment participé à la campagne de Bell Cause pour la cause qui vise à faire tomber les tabous associés à la maladie mentale.

Cela m'a fait du bien d'expliquer pourquoi j'ai eu l'air complètement désinvolte dans certaines entrevues. Quelqu'un qui est en attaque de panique et qui doit aller au bout de son affaire fait quoi, en direct, quand il n'est plus capable de respirer? Les gens pensent que tu es off et déplaisant alors que tu es mal. À un moment donné, j'ai senti le besoin de l'expliquer parce que cela touche beaucoup de gens qui ne le savent pas. Aujourd'hui, il y a tellement de gens qui m'arrêtent dans la rue ou qui m'écrivent sur Facebook pour me remercier. Le fait d'en parler permet à des gens d'oser en parler à leurs proches. La campagne est vraiment utile.

Comment te sentiras-tu ce soir 15 minutes avant de monter sur la scène du Club Soda?

Fébrile. Je vais avoir besoin d'un whisky. Il fait baisser le niveau de trac et il fait augmenter le niveau de fébrilité positive. Je n'invente rien. C'est une vieille formule qui marche.

Revenons à ton spectacle. Ce sera donc un cabaret nocturne?

Wow, un cabaret nocturne! Nous serons cinq sur scène. Depuis 15 ans, j'ai Justin Allard à la batterie et Vincent Réhel aux claviers. Nouveauté: Jean-Sébastien Cyr quitte la régie pour la scène. C'est un musicien qui a joué dans Gatineau et qui est un homme de machines. Amélie chante et sera évidemment à la basse. Il y aura des tableaux nocturnes. L'obscurité et le silence font partie de la nuit, mais aussi le côté bruyant et lumineux qui me permet de ressortir mon côté DJ et mon groove. On n'a pas le budget de U2, mais il y a l'ingéniosité de Marc Thibodeau, mon éclairagiste. Je lui ai pas mal donné carte blanche.

Quelle musique te branche présentement?

Une chanson de Deerhoof que j'écoute en boucle et qui date de 2012, The Trouble With Candyhands. Je vais par ailleurs la remixer dans mes DJ sets qui s'en viennent. Cela me manque...

Où feras-tu des DJ sets ?

Je ne peux rien confirmer, mais c'est une place dans le Vieux-Montréal. J'aime changer les structures des chansons. [...] Il y a trop d'art pour une vie. Trop de musique, de cinéma, d'architecte... C'est une injustice. Cela m'angoisse quand j'y pense.

Trop d'art pour une vie. Je crois que c'est une belle chute.

Stefie (en enlevant son masque): Et la lumière fut.

Je suis éblouie et j'ai un peu mal au coeur. Toi?

Je pense que je vais toujours faire mes entrevues comme cela.

Au Club Soda, ce soir à 20h.

En première partie: Le Couleur.