Pour justifier un spectacle de 3 heures 15 sans entracte, dont plus de la moitié se déroule debout pour les spectateurs qui sont loin d'être assurés de bien voir ce qui se passe, il faut une proposition artistique rigoureuse et originale qui suscitera l'adhésion totale. N'est pas Robert Lepage qui veut.

Le spectacle déambulatoire Vice & Vertu, présenté par la troupe québécoise Les 7 doigts à la Société des arts technologiques, est rempli de qualité et de moments absolument délicieux, poétiques et drôles. Cette incursion dans le Montréal des années 40 et 50, qui met en vedette les Lili St-Cyr, Jean Drapeau, Léa Roback et Pacifique Plante qui ont fait l'histoire, est loin d'être ratée. Mais ce récit qui relate la guerre sans merci entre les tenants de la vertu et le monde interlope s'étire tellement en longueur que les meilleurs éléments se retrouvent noyés dans les redondances narratives et les tableaux inutiles.

Il y a beaucoup de bonne volonté, d'énergie et de talent qui ont été consacrés à ce spectacle présenté dans le cadre de Montréal complètement cirque. Une oeuvre qui demande à ses interprètes, mélange d'artistes de cirque et de comédiens, d'être partout à la fois - mais comment font-ils? - et qui laisse beaucoup de place à la musique. Band de jazz, ambiance illicite, soupçon d'onirisme, l'ensemble, très élaboré, charme d'emblée et nous plonge directement dans une époque aux codes clairs.

Le choix du déambulatoire permet aux 7 doigts de nous entraîner dans différents univers. La représentation commence ainsi avec un (long) prologue présentant les différents protagonistes, qui réunit tous les spectateurs au rez-de-chaussée de la SAT. Elle se divise ensuite en trois tableaux, le public se séparant ainsi en trois pour se rendre soit dans un tripot, situé dans le même espace que le prologue, soit dans le Red Light, sous le dôme de la SAT, soit dans une assemblée de suffragettes à l'extérieur, place de la Paix. Les spectateurs se déplacent ensuite d'un lieu à l'autre, chaque tableau durant autour de 40 minutes.

Malheureusement, certains sont moins réussis que d'autres, et il y a tellement de répétitions, particulièrement entre le prologue et le tableau du tripot qui balade les gens d'un bout à l'autre de la SAT - c'est aussi le tableau où on voit le moins bien l'action -, qu'on se dit que le spectacle aurait pu être amputé d'une grosse heure sans qu'il en souffre. On en oublie presque les meilleurs moments circassiens, dont l'extraordinaire et sensuel numéro de mât/danse poteau qui est exécuté autour d'un lit pendant que Betty Bonifassi, qui incarne la tenancière Anne-Labelle Beauchamp, chante la lancinante I've Seen that Face Before (Libertango) de Grace Jones.

Même problème pour le tableau extérieur. Pourquoi revenir avec une interminable discussion de cuisine autour du vote des femmes, alors que le numéro d'équilibre d'Idola Saint-Jean (Mariève Dicaire) et Thérèse Casgrain (Geneviève Drolet), exécuté ailleurs, alliait parfaitement la forme au discours et disait tout? D'ailleurs, un des moments les plus forts du tableau extérieur aura été un numéro de diabolo donné par un couple aussi gracieux que talentueux, formé par Song Enmeng et Pan Shengnan. Du cirque pur, d'ailleurs, ce qui manquait quand même un peu au cours de la soirée.

Le tableau le plus réussi des trois, et de loin, est celui qui se déroule sous le dôme de la SAT, un lieu déjà porteur de magie, avec une trame musicale signée Alexandre Désilets et des projections vidéo appropriées. Spectaculaire numéro de mât chinois à sept personnes (!) dans la structure du pont Jacques-Cartier, acrobate (toujours magnifique Alexandra Royer) qui s'envole de la barre russe comme un oiseau sur un air d'Yma Sumac, on a ici le meilleur des 7 doigts, la perfection acrobatique à couper le souffle alliée à la poésie artistique.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

L'ambiance du Montréal illicite des années 40 et 50 est parfaitement reproduite dans les numéros du spectacle des 7 doigts.

Quand, plus de deux heures plus tard, tous les spectateurs se retrouvent réunis une dernière fois pour un épilogue qui vient résumer ce qu'on a déjà compris depuis longtemps, avec entre autres un faux spectacle burlesque qui n'en finit plus, la patience de bien des spectateurs, il faut le dire, atteint sa limite.

Dommage, car avec une direction artistique plus serrée, Les 7 doigts auraient pu aller à l'essentiel plutôt que de s'éparpiller de cette manière. On aurait pu leur expliquer le concept de prologue et d'épilogue, par exemple, ainsi que les aider à mieux ordonner les numéros et à faire des choix narratifs. 

Il nous reste tout de même de cette trop longue soirée cette image captée dans le dôme de la SAT: Alexandra Royer au cerceau aérien qui s'élève avec grâce dans le ciel étoilé montréalais. Un moment de magie pure, et la preuve que Les 7 doigts savent encore nous éblouir et nous faire rêver. Ne l'oublions pas.

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Vice & Vertu. Les 7 doigts. À la SAT jusqu'au 6 août.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Un numéro de mât/danse poteau se révèle à la fois acrobatique et sensuel.