On s'en doutait, mais c'est vrai: un humoriste, ça ne rit pas avant d'entrer en scène. Les minutes précédant la rencontre entre l'artiste et son public sont en quelque sorte des minutes sacrées. Dans les coulisses du St-Denis, on s'encourage avant, on se félicite après, mais pendant ces minutes cruciales, on laisse l'humoriste tranquille. Le jeune Philippe Laprise, le premier à paraître après l'ouverture du gala, marmonne de son côté ce qui doit être son texte, complètement dans son monde, les jambes qui trépignent. Il se réfugie dans le monte-charge, qui tout à coup s'agite étrangement, ce qui lui donne la frousse. Ceux qui sont proches sont pris d'un fou rire. «Je vais aller me concentrer ailleurs», dit-il en riant.

Dès les premières notes de la célèbre chanson de Juste pour rire, on entend de part et d'autre: «Merde tout le monde!» par-dessus les sifflements du public qui avait hâte que ça commence. C'est parti, impossible de reculer.

Les galas Juste pour rire sont aujourd'hui une tradition. À toutes les premières, Gilbert Rozon vient faire son tour. On a beau être un vétéran, c'est toujours la même nervosité qui assaille celui qui devra livrer une performance. Même les plus aguerris ont des papillons dans le ventre: cela fait partie du métier. Ce qui frappe, c'est le calme en coulisses et l'atmosphère bon enfant alors qu'une bande de comiques est réunie. On appelle ça le professionnalisme. Personne ne déconne «trop» pour ne pas déranger les autres.

Les humoristes occupent cinq zones dans l'envers du décor. La loge, où ils s'habillent et se réfugient; le long corridor devant les loges, où tout le monde se détend en regardant le gala sur des écrans, tout en grignotant au buffet; les coulisses de la scène, côté cour et côté jardin, où les techniciens s'affairent, tandis que les humoristes sont en attente de leur entrée, et là encore il y a des écrans pour regarder ce que le public voit. Enfin, il y a la ruelle fermée derrière le St-Denis, où les employés, les amis et les collègues regardent le spectacle - encore des écrans - en plein air, détendus. Bref, peu importe l'endroit, on ne perd rien du spectacle.

Le seul qu'on ne voit pas, c'est l'animateur, Laurent Paquin. Le gala repose sur ses épaules, il ne peut bénéficier du confort des coulisses, comme le metteur en scène Dominic Anctil d'ailleurs. Quand, au bout de plus de trois heures, le rideau tombe, il sort de scène encore sur l'adrénaline pour assister tout de suite à la réunion post-gala. Devant les félicitations de son metteur en scène, il dira: «Moi, tu le sais, je ne pense en ce moment qu'aux choses à améliorer.» Car on prépare déjà pour demain la deuxième représentation.