On le désigne comme la révélation de la nouvelle garde artistique en Grèce avec ses créations sans paroles, mettant en scène des créatures fantasmagoriques tragicomiques. Le dramaturge, performeur et chorégraphe grec Euripides Laskaridis est de passage à Montréal avec Titans. La Presse a rencontré ce créateur fascinant, qui pose un regard éclairé, à la fois moqueur et tendre, sur la condition humaine... et sa propre condition d'artiste.

Depuis le milieu des années 90, vous avez travaillé en tant qu'acteur, étudié le jeu à Athènes, puis fait votre maîtrise en mise en scène au Brooklyn College à New York. Avec votre compagnie Osmosis, ce que vous proposez semble à la frontière de plusieurs genres: théâtre, danse, burlesque, cirque...

Il y a toutes ces catégories en arts de la scène et cela m'a pris beaucoup de temps pour comprendre que c'est seulement une façon de rendre la communication plus facile autour des oeuvres. C'est un marché. Je crois que l'art ne devrait pas s'encombrer de ces barrières. L'art est une affaire d'imagination, de liberté de pensée, d'effacement des frontières. Quand j'ai enfin compris tout ça, j'ai pu me libérer et trouver ma propre voix.

Vous avez déjà affirmé que votre processus créatif partait de l'extérieur pour aller vers l'intérieur, alors qu'on a souvent l'impression que c'est le contraire!

La méthode qu'on enseigne dans les écoles de théâtre, qui est la fameuse méthode «Stanislavski», est qu'on doit trouver à l'intérieur de soi sa propre tristesse, sa joie, bref toute sa palette d'émotions afin de pouvoir habiter un rôle donné. Cette méthode a toujours été problématique à mes yeux. Après des années à jouer et à diriger, j'ai commencé à me libérer de cette notion préconçue. Mon processus, désormais, vient de l'instinct. C'est un peu comme travailler à l'envers. Cela débute comme un souhait, une étincelle; j'observe quelque chose qui m'intéresse, et plus je regarde cette chose, plus elle me révèle sa profondeur.

Dans Relic, votre création précédente, vous aviez formulé ce souhait de devenir une «grosse dame» (fat lady). Quel était votre souhait pour Titans?

J'avais cette envie d'une créature mince avec un immense front, et légèrement enceinte. Et puis j'ai commencé à construire un univers autour de cette créature ; dès le départ, je savais qu'il y avait une figure de l'ombre autour d'elle. Alors que Relic était situé dans l'univers domestique, Titans m'est apparu comme cosmique.

Dans Relic, vous enfiliez un impressionnant costume de créature voluptueuse. Dans Titans, vous vous métamorphosez à nouveau en créature divine et grotesque. Pourquoi cette envie?

Pour moi, c'est un outil, une façon de libérer mon imagination. Si c'est moi que je vois dans un miroir, je n'ai pas de motivation, je ne suis pas libre. Mais si je me transforme en autre chose, ce n'est plus moi que je vois, mais cette créature. C'est là que ça devient intéressant, poétique et que je peux me libérer de ce monde et créer un univers qui n'existe pas.

Cette créature devient sur scène un des «Titans», ces dieux anciens de la mythologie grecque. Pourquoi ce titre?

C'est un titre assez cynique, ironique, car les Titans étaient les dieux originels, les parents de Zeus et des autres. Ils devaient être les dieux ultimes, mais évidemment, ils ont été remplacés par les dieux de l'Olympe. Selon moi, nous sommes tous des titans : nous voulons être des superhumains, mais nous sommes faibles, inaptes à atteindre tous nos buts. Nous avons l'impression que nous pouvons conquérir le monde entier, mais très bientôt, nous allons mourir et être remplacés.

Vos créations sont à la fois poétiques et grotesques. Pourquoi ce contraste?

J'ai beaucoup de compassion pour l'humanité. Nous nous prenons tellement au sérieux... Mais si on prend du recul, ce qu'on voit, c'est cette petite fourmi qui s'agite en vain. Au final, la vie est une série d'excuses, de constructions, pour la rendre intéressante jusqu'à ce que la mort arrive! Pour moi, c'est à la fois tendre et ridicule, très drôle et à vous briser le coeur. Et c'est ainsi que je vois l'humain et la dualité de notre existence: une vraie tragicomédie!

Vous avez créé votre compagnie, Osmosis, en 2009, en pleine crise grecque. Crise dont on n'entend plus vraiment parler ces temps-ci...

Il y a des vagues de «saveurs du mois» dans l'actualité. Aujourd'hui, ce sont la Syrie et les réfugiés, les immigrants. Le sujet de l'économie grecque s'est révélé n'être qu'une «étiquette»; ce qui se cachait en dessous, c'était une crise non pas grecque, mais européenne, mais personne ne voulait l'avouer à ce moment. Tout cela a fait que, soudainement, les artistes grecs sont importants et intéressants, puisqu'ils passent à travers une crise économique!

Est-ce donc une erreur d'analyser votre travail à travers ce contexte économique et social?

Il faut être prudent avec les aphorismes. Quand les gens viennent voir des créations d'ailleurs dans les festivals, c'est normal de penser qu'elles sont représentatives de leur pays, et de vouloir les lire à travers cette loupe. Mais mon travail porte d'autres significations, d'autres histoires: c'est un poème ouvert, les gens peuvent y lire ce qu'ils veulent. Jamais je ne dirai «mon travail veut dire ceci, c'est à propos du genre, de la politique, de la crise grecque». Non! Mon travail est à propos de l'humanité, et j'invite les gens à le regarder avec un esprit ouvert.

__________________________________________________________

À l'Usine C jusqu'au 31 mai, dans le cadre du Festival TransAmériques.