À l'instar des King Sunny Adé, Mory Kanté, Youssou N'Dour, Salif Keita et autres Touré Kunda, Alpha Blondy est de cette génération de stars ouest-africaines ayant émergé au cours des années 80. Contrairement à ses contemporains, l'artiste ivoirien avait choisi le reggae pour véhicule d'expression. Depuis lors, le rythme jamaïcain a conquis moult territoires du continent noir, à tel point qu'il est devenu un véhicule crucial de l'expression populaire. Pour le meilleur et pour le pire...

Seydou Koné, alias Alpha Blondy, est joint au téléphone dans la région d'Abidjan. La communication n'est pas facile, il faudra recomposer le numéro à maintes reprises afin de réaliser l'interview en prévision de son passage aux FrancoFolies.

«Je suis en bordure de mer, pas très loin d'Abidjan. Oui, je reviens bientôt à Montréal avec Solar System. Oui, c'est toujours mon groupe. On a changé des musiciens, mais on a gardé le noyau. Qui est le noyau? C'est moi!», pouffe l'interviewé, d'excellente humeur.

Sauf Alpha Blondy, le bassiste de Solar System est Ivoirien et vit en France. Les autres musiciens sont originaires de l'Hexagone, d'Afrique ou des Caraïbes. Le chanteur est le seul à résider actuellement en Côte d'Ivoire, pays éprouvé par les violences interethniques et une grave crise politique qui s'est conclue récemment par le départ forcé du président défait, Laurent Gbagbo, et l'accession au pouvoir du nouveau président élu, Alassane Ouattara.

Cette période trouble en Côte d'Ivoire explique d'ailleurs le report du spectacle d'Alpha Blondy prévu initialement l'hiver dernier à Montréal (en lumière). Dans ce contexte de guerre civile, l'artiste avait estimé qu'il valait mieux rester parmi les siens. «J'ai la famille, ma femme, ma mère, les enfants... Tous les Ivoiriens ont été éprouvés, ceux qui étaient sur place et ceux qui n'y étaient pas. Quand ta famille est en danger tu es en danger. Quand ta famille souffre, tu souffres.»

Bien qu'il ne fut pas favorable au candidat gagnant des élections ivoiriennes, Alpha Blondy affirme avoir soutenu le verdict de la victoire d'Allasane Ouattara.

«Après tant d'injustices, fait-il valoir, les Ivoiriens doivent s'habituer aux élections démocratiques, et Ouattara a gagné des élections démocratiques. Il n'y a donc pas de raison pour qu'il ne puisse pas exercer le pouvoir. Laurent Gbagbo était mon candidat, mais il a perdu. On ne peut éliminer le vote de toute une région pour ensuite prétendre avoir gagné.»

Mais pourquoi, Alpha Blondy, avoir appuyé Laurent Gbagbo au départ?

«La question n'est pas là», réplique-t-il, évitant soigneusement la confrontation.

«Je lui avais demandé d'abolir l'ivoirité, ce concept xénophobe fondé sur l'exclusion et qui divise la Côte d'Ivoire en traitant d'étrangers les habitants du nord du pays. En traitant Ouattara de burkinabé, ce qui est complètement faux. J'avais appuyé Laurent Gbagbo parce qu'il m'avait promis qu'il ferait tout pour abolir le concept d'ivoirité au pays. J'y ai cru. Et j'ai été très déçu que Laurent Gbagbo et son équipe n'aient pas écouté des propos comme le mien. Déçu aussi qu'il s'accroche au pouvoir, bien que je soupçonne certains de ses partisans avoir souhaité que coule son sang... que Ouattara aurait eu sur les mains.»

Alpha Blondy conclut ce volet politique de l'interview en estimant avoir «toujours été un antiguerre».

Bon, parlons plutôt musique, c'est-à-dire de Vision. Son 20e album est une sorte de thérapie où il n'est pas vraiment question des entre-déchirements ivoiriens. Page tournée, donc, regard sur l'avenir.

«Cet album a été enregistré sur la route, dans les hôtels où nous sommes passés - France, Suisse, Belgique, Italie, Allemagne, Argentine, Brésil, etc. À Paris, on a rejoué sur ce matériel préalablement enregistré.»

Roots rock reggae pour toujours, Alpha? Dirait-on que ce genre vit mieux en Afrique de l'Ouest qu'en Jamaïque par les temps qui courent, n'est-ce pas Alpha?

«Yah man! Voyez-vous, des businessmen ont décidé en Jamaïque de favoriser la promotion du dance-hall et du raga pour le marché occidental. Mais les adeptes du roots demeurent en Jamaïque, malgré tout.»

Vision réserve aussi quelques surprises, souligne en outre son concepteur: instruments africains, country-folk, flûte en plus des cuivres et anches, etc.. On est tenté d'y voir de petites réformes comparables à celles, toutes récentes, du compatriote Tiken Jah Fakoly.... avec qui les relations n'ont pas toujours été au beau fixe. D'autant plus que l'autre rastaman ivoirien était un partisan de Ouattara.

Alpha, lui, affirme que ces rivalités sont derrière eux.

«Nous n'avons plus de problèmes. Je lui ai pardonné. C'est un petit frère, il s'était fait avoir par les journaleux.... Tout ça est bien fini, ce n'est pas important. D'ici la fin de l'année, nous prévoyons participer ensemble à une caravane de la réconciliation en Côte d'Ivoire. Inch Allah! Notre mère, la Côte d'Ivoire, a besoin de nous, et si avec notre métier on peut ramener les Ivoiriens ensemble et se pardonner... C'est une mission noble. Nos petits chichis n'ont pas d'importance.»

Panser les plaies par la musique, retrouver l'optimisme, voilà le leitmotiv d'Alpha Blondy en juin 2011. «Je pense même que les observateurs seront surpris du redémarrage de la Côte d'Ivoire sur les chapeaux de roues. Je connais le courage des Ivoiriens, leur amour pour leur pays. Et je me dis que l'amour aura raison des guerres.»

Alpha Blondy, le mercredi 15 juin, 21h, au Métropolis.