Il était 18h, le soleil n'était pas prêt de se coucher et... il faisait nuit au Club Soda. Silence total dans la salle, toutes et tous suspendus aux lèvres de Mélanie De Biasio. L'envoûtement était amorcé depuis quelques douzaines de mois, il faut dire; No Deal, deuxième album de la chanteuse et flûtiste italo-belge, est un satellite en orbite autour de la planète jazz. L'objet céleste hypnotise à distance... imaginez l'effet produit par sa conceptrice en chair et en os.

Avec peu de fréquences émises par les instruments qui l'accompagnent (contrebasse, piano, électronique), pouvant compter sur une tessiture relativement limitée et une technique de flûte traversière qui ne pète rien de particulier, cette artiste peut intervenir dans vos rêves, en modifier la symbolique et le scénario.

Le ton est calme, lourd, grave, très sensuel. Impossible de ne pas être chevauché par ces mélodies superbement dessinées, ces harmonies souvent puisées dans le jazz, un jazz souvent coltranien - la référence est d'autant plus claire lorsqu'elle nous sert Afro Blue en en ralentissent le tempo originel.

Autre élément-clé de ce succès confirmé lundi: l'équilibre entre voix, instruments acoustiques et fréquences électroniques. Dans le cas qui nous occupe, la grande précision de la sonorisation est cruciale, opération très délicate dans le contexte.

On ne sait quelle sera la pérennité de cet art puissant constitué de si peu d'éléments. On ne sait comment Mélanie De Biasio pourra générer d'autres ambiances aussi épidermiques avec ce dont elle dispose. On peut le présumer, cependant: si elle y est parvenue sur deux albums déjà, pourquoi manquerait-elle d'inspiration pour la suite des choses?

Après que son Altesse Érykah eut fait rimer Badu avec vaudou et mis en transe tous ses sujets à la salle Wilfrid-Pelletier, c'était le moment d'assister au triomphe imminent de Jaga Jazzist. Plus de deux heures sur scène, le Club Soda en feu. Show extrêmement généreux de la part de ces Norvégiens dont on a maintes fois vanté le pouvoir volcanique: il était passé minuit et le groupe est revenu sur scène pour un ultime rappel. Très sympa.

Une tonne d'énergie au programme, certes, mais pas une tonne d'intelligibilité. Plus présents dans le mix qu'ils ne l'étaient par le passé, les synthés de Jaga Jazzist semaient hier une étrange confusion. Force est d'observer sur scène comme sur le récent opus Starfire, les composantes électroniques préconisées par Lars Horntveth (le principal compositeur) s'inspirent du prog, du krautrock et de la synth pop d'une autre époque.

Combinés aux instruments acoustiques (bois, cuivres, anches, cordes, percussions) et électriques (guitares, claviers) des orchestrations, la facture générale de ce nouveau spectacle laissait une impression de sur-place, contrairement aux avancées auxquelles nous avions été habitués auparavant. Ajoutez à cela une sonorisation qui laissait à désirer, et vous aviez une frange de fans déçus au sortir du Club Soda. Frange minoritaire, faut-il le préciser...

PHOTO VICTOR DIAZ-LAMICH, FOURNIE PAR LE FIJM

Jaga Jazzist