L'autre jour, au téléphone, Daniel Lanois disait que si l'étiquette de « folkie » qu'on lui colle parfois signifie qu'on l'associe à la riche tradition canadienne des conteurs d'histoires, il en est plutôt fier.

Le Daniel Lanois qu'on a accueilli ce soir à la salle Wilfrid-Pelletier fait de plus en plus penser à un autre fleuron de la musique canadienne, un artiste inclassable que Lanois connaît bien pour avoir réalisé son album Le Noise : Neil Young.

Bien sûr, il serait étonnant que le vieux Neil amorce son spectacle en nous faisant voir sur écran des courts métrages expérimentaux accompagnés de la musique instrumentale de son prochain album, tantôt lente et atmosphérique puis nerveuse avec une saveur techno. Quoique... Le public a regardé et écouté sagement jusqu'à ce que Lanois s'installe à la steel guitar, bientôt rejoint par ses acolytes Brian Blade, batteur, et Jim Wilson, bassiste, pendant qu'on voyait à l'écran un montage nerveux de baisers enflammés de films hollywoodiens.

Bienvenue dans l'univers de Daniel Lanois qui, comme Neil Young, fait corps avec sa guitare dont il tire des sons harmonieux ou rageurs en se tortillant. Lanois qui, surtout, est comme Neil Young un artiste libre qui peut vous concevoir un spectacle qui, sur papier, peut sembler touffu et hétéroclite, mais qui sur scène prend tout son sens.

Le jazz comme une aventure

On passe ainsi de la musique ambiante du début aux chansons plus rhythm and blues de Black Dub. L'invitée Trixie Whitley n'a plus rien de la jeune chanteuse intimidée d'il y a trois ans. Quand elle s'en va derrière sa batterie ce n'est plus pour se cacher, mais bien pour tricoter avec Brian Blade le groove plus funky qu'à l'origine de Nomad. Puis ce sont les chansons canadiennes-françaises bilingues du troubadour déménagé en Ontario - « Je suis premièrement un Québécois », dira Lanois dans son franglais - , chansons qui empruntent à l'occasion des accents louisianais. Plus lyrique que jamais, Lanois chante sa Jolie Louise presque a cappella pendant que sa guitare se fait discrète.

Lanois et ses complices donnent ensuite dans une improvisation qui se termine par une citation de sa chanson Still Water parce que comme il nous l'a expliqué, le jazz c'est aussi l'esprit aventurier qui pousse les musiciens à explorer hors des limites établies.

Arrive enfin la belle Emmylou Harris le temps de quelques chansons de son superbe album Wrecking Ball, réalisé par Lanois il y aura bientôt 20 ans. Nous voilà tout à coup dans un univers plus proche du country, mais qui ose s'approprier brillamment May This Be Love de Jimi Hendrix. Tout se tient. Et Trixie Whitley revient s'installer derrière la batterie pour The Maker à laquelle contribuent tous ces musiciens dépareillés. Lanois joue depuis deux bonnes heures et donne l'impression que cette soirée musicale sans limites est loin d'être terminée.