Il a fait une entrée hollywoodienne, avec la complicité de sa maîtresse de cérémonie qui est aussi choriste, tromboniste et directrice musicale. Les spectateurs qui, deux heures après le début de ce programme double, avaient le goût d'entendre enfin de la bonne musique, se sont levés pour accueillir leur sauveur.

Dr. John s'est assis au piano sur lequel l'attendaient deux crânes, et en digne ambassadeur musical de sa Nouvelle-Orléans chérie, il a sauté à pieds joints dans Iko Iko, le joyau rhythm and blues des années 50.

Ceux qui ont (re)découvert le bon docteur avec son très beau dernier album Locked Down n'ont pas eu à patienter bien longtemps pour entendre la chanson-titre, l'irrésistible Révolution, le rythme sinueux de Ice Age et la savoureuse Big Shot. Les ronchonneux diront peut-être que ça n'avait pas la qualité de finition qu'ont donnée au disque les musiciens recrutés par le réalisateur Dan Auerbach - à l'impossible nul n'est tenu -, mais cette musique groovy respirait la vitalité et on ne perdait pas au change.

Le «Night Tripper» était en forme, sa bande aussi, et au moment d'aller sous presse, nous en avions encore pour une bonne heure de musique à en juger par le programme de la soirée.

Leon le saboteur

Avant l'entracte, un autre septuagénaire, Leon Russell, s'est lancé dans une opération de sabotage systématique de sa musique. Passe encore quand il reprend les chansons des autres - plusieurs des Stones, d'autres de Chuck Berry, de Ray Charles, de Dylan ou des Beatles -, lui qui nous a pourtant habitués à tellement mieux quand il empruntait Beware Of Darkness à George Harrison. Mais quand il massacre ses propres chansons, c'est pathétique.

Pendant 80 minutes, Russell a noyé les plus belles de ses compositions dans une soupe imbuvable de claviers «cheapos» du genre que l'on croyait morts et enterrés depuis un quart de siècle. Le pire est survenu quand il a repris A Song For You, tellement belle que tout le monde la lui empruntée, et l'a vidée de toute sa charge émotionnelle en lui faisant subir le même traitement.

Désolant, vous dites? Triste à en pleurer.

D'autant plus triste que les deux fois où il s'est adressé au public du Théâtre Maisonneuve, Russell a paru sympa, drôle et allumé. Mais dès qu'il s'est remis à jouer, les nappes de claviers ont enterré les interventions de ses trois musiciens et tué dans l'oeuf la moindre lueur de beauté qu'annonçaient les trop rares notes, quasi organiques en comparaison, qu'il tirait de son piano.

Comment un artiste de ce talent peut-il faire preuve d'aussi peu de goût?