Les supergroupes sont monnaie courante dans le jazz où fortes individualités et rencontres au sommet sont hyper-médiatisées. Il s'agit souvent de ramener, le temps d'une tournée, un groupe ou un projet «mythique», comme l'ont fait en 2008 Chick Corea, Al DiMeola et Stanley Clarke (voir la série Invitation du FIJM) en recréant Return to Forever, illustre formation de jazz fusion des années 70.

Spectrum Road représente un cas un peu différent. Les quatre membres du dernier-né des supergroupes - Jack Bruce, Vernon Reid, John Medeski et Cindy Blackman - sont tous des stars, mais ils viennent d'horizons différents. Jack Bruce était le bassiste de Cream, premier power trio du rock que complétaient le guitariste Eric Clapton et le batteur Ginger Baker; le guitariste Vernon Reid a fondé Living Colour, groupe hard rock que les fans montréalais des Stones ont découvert (ou ignoré) lors de la tournée Steel Wheels, au Stade en 1989. Le claviériste John Medeski, lui, est un habitué de Montréal où le super trio funk de Medeski, Martin&Wood fait toujours salle comble. Quant à Cindy Blackman, elle s'est fait connaître à la batterie du band de Lenny Kravitz, puis dans le groupe du guitariste Carlos Santana qu'elle a épousé en 2010.

Cindy Blackman Santana tient le rôle principal, pourrait-on dire, dans Spectrum Road qui veut faire vivre l'héritage du batteur Tony Williams (1945-1997) et de son groupe Lifetime, autres pionniers du mouvement de fusion des années 70. «J'ai été honorée que Jack et Vernon me demandent de me joindre à eux dans cet hommage à Tony Williams», nous disait Cindy Blackman, jointe la semaine dernière à San Francisco où Spectrum Road, fondé en 2008, amorçait sa première véritable tournée. Pour référence, rappelons que Williams a été le batteur du Second Grand Quintet de Miles Davis, avec Wayne Shorter, Herbie Hancock et Ron Carter; la formation a enregistré, entre autres, Miles Smiles que reprendra le 2 juillet à Maisonneuve une autre formation de cracks.

«Tony a été mon mentor et mon inspiration», ajoutera Cindy Blackman qui, comme ses comparses, tend davantage à perpétuer l'esprit créatif de Tony Williams que le son de son groupe. Individuellement et ensemble, les membres de Spectrum Road - du nom d'une pièce du premier disque de Lifetime - s'expriment en toute liberté mais, comme l'a dit Cindy Blackman après la première, «notre musique ne plaira pas à tout le monde». 

Comme leader, Cindy Blackman s'était déjà investie de la mission Tony Williams en enregistrant le CD Another Lifetime qu'elle était venue présenter à l'Astral en mai 2010. Le spectacle de jeudi au théâtre Maisonneuve sera sa première prestation au Festival de jazz de Montréal. «J'aime l'énergie des festivals de jazz où les gens viennent pour écouter la musique. Cette énergie stimule l'imagination, magnifie l'esprit de liberté.»

Jack Bruce, l'autre lien direct avec Tony Williams, a joué avec Lifetime au début des années 70, aux côtés de l'organiste Larry Young et du guitariste John McLaughlin. Aujourd'hui âgé de 69 ans, Mr. Bruce est le doyen respecté de Spectrum Road. «Jack est un merveilleux musicien et, en plus, il chante», lance Cindy Blackman en faisant référence à One Word (McLaughlin) et à An t-Eilan Muileach, une chanson traditionnelle écossaise. «Comme l'était Tony, Jack est un explorateur et il a des milliers d'histoires à raconter.»

Cindy Blackman aussi, on suppose, aurait beaucoup d'histoires à raconter, la plus belle étant celle d'une femme, noire, qui a atteint la notoriété en jouant du drum dans un monde d'hommes. «Face aux préjugés, dira la «supercussionniste», j'ai toujours eu la même réponse: rencontrons-nous face à face sur scène.»

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MELODY GARDOT

À Wilfrid-Pelletier, le 29 juin, à 19h30

On a su que cette jeune chanteuse de Philadelphie avait l'étoffe d'une star dès sa première présence au Festival de jazz en 2008. À l'époque, il a beaucoup été question de l'accident de vélo qui lui avait presque coûté la vie et de sa longue convalescence au cours de laquelle la musique lui a servi de thérapie. Une fois l'effet de curiosité passé, son deuxième album, plus orchestral, a confirmé son talent et son succès, et c'est au Théâtre Maisonneuve qu'elle nous a accueillis en 2009. Après trois ans d'absence, qui lui ont permis de trouver l'inspiration, la voici de retour avec The Absence, un album aux sonorités portugaises, brésiliennes et africaines créé avec son nouveau complice Heitor Pereira. Heureuse qui comme Melody a beaucoup voyagé.

ESPERANZA SPALDING

Au Métropolis, le 29 juin, 20h30

Esperanza Spalding ne passe jamais inaperçue, pas plus à la soirée des prix Grammy de 2011 où elle a été sacrée Révélation de l'année devant le favori Justin Bieber qu'au Théâtre Maisonneuve où elle a donné quelques mois plus tard un spectacle très musical et un peu théâtral. La jeune contrebassiste, chanteuse et compositrice au look de top modèle se plaît à échapper aux catégorisations réductrices. Elle est jazz, évidemment, mais son album précédent flirtait avec la musique de chambre tandis que le p'tit dernier, paru en mars, fait un clin d'oeil à la radio. Comme elle nous le disait l'an dernier, sa préoccupation première n'a pas changé: rendre le jazz plus accessible sans faire de compromis sur sa création. Esperanza Spalding n'est pas la première à se fixer pareil objectif, mais cette jeune Américaine a les moyens de ses ambitions.