Canadien originaire de Vancouver, transplanté à New York après avoir vécu à Montréal et à Boston, le chef d'orchestre, compositeur et arrangeur qui s'amène s'avère un des plus redoutables réformateurs de l'esthétique du big band.

Vous levez les yeux au ciel? Pour une majorité de mélomanes, c'est vrai, le big band de jazz ne soulève pas grand intérêt. On associe ces grosses formations à une esthétique ronflante. À un swing vieillot datant de la Seconde Guerre mondiale. À un truc d'arrière-grands-parents. Des exceptions, pourtant, se sont inscrites au fil du temps : Count Basie, Duke Ellington, Gil Evans, George Russell, Sun Râ, Oliver Nelson, George Gruntz ou Maria Schneider sont parmi les chefs ayant étoffé la musique de big band depuis ses origines. C'est tout ? Voici une autre exception qui fera boum ce mercredi au Gesù: Secret Society, 18 musiciens sous la direction de Darcy James Argue.

« Aujourd'hui, pose-t-il, le big band est un anachronisme. À l'origine, le grand orchestre fut créé pour résoudre un problème de volume dans les salles de danse. C'était avant l'invention des systèmes d'amplification! Aujourd'hui, le big band fait partie de l'éducation musicale, on l'entend surtout dans les écoles secondaires et les collèges. Ailleurs? Hmmm, pourtant... l'ADN du big band est la musique de danse, l'expérience physique en relation avec la musique. »

Pour Darcy James Argue, cette «expérience physique» reste fondamentale.

« Même si cet objectif est poursuivi de manière différente, je souhaite la faire vivre au public. Or, pour atteindre cet objectif, il faut se questionner sérieusement. Que se serait-il passé si les big bands n'avaient pas disparu de la musique populaire américaine au tournant des années 60 ? Que deviendrait la nouvelle musique d'aujourd'hui si on mettait à son service les forces considérables d'un big band ? Quelle allure prendrait cette conversation entre le big band et la musique d'aujourd'hui? »

Le chef d'orchestre dit fréquenter plusieurs genres musicaux hors du champ jazzistique. On aura déduit que sa Secret Society en absorbe les fondements.

« J'écoute beaucoup de rock indie et beaucoup de musique contemporaine, bref mes goûts vont de Steve Reich à TV on the Radio. Si je veux être honnête avec moi-même en tant que compositeur, il me faut témoigner de cette culture. Et je crois sincèrement qu'une grande formation offre de grandes possibilités à ce titre. Dans chacune des sections de l'orchestre, tu peux exploiter cette nouvelle matière, la faire traverser d'une section à l'autre, bref user de plusieurs possibilités. »

Pour le musicien, cependant, témoigner de la culture actuelle ne revient pas à l'afficher simplement dans un grand orchestre.

« Je choisis les styles qui peuvent vraiment cohabiter dans ma musique. Je n'ai aucunement l'intention de les pasticher, le pastiche ne m'intéresse pas. Cette intégration requiert donc une réflexion sur les fondements essentiels de chaque genre. Ainsi, je dispose d'un vaste menu de possibilités, après quoi j'essaie d'imaginer les combinaisons, les fusions. Mais... je ne peux expliquer comment ça finit par fonctionner. La composition demeure un phénomène mystérieux ! »

Et pourquoi donc maintenir en 2011 la frontière entre un orchestre de chambre et un big band ?

« Les musiciens employés dans un big band comme le mien ont une relation différente au groove que les musiciens de formation classique. Heureusement, on observe de plus en plus de jeunes musiciens classiques qui réalisent la nécessité d'en apprendre davantage sur le rythme. L'ensemble de Steve Reich fut un pionnier en ce sens. »

Darcy James Argue est originaire de Vancouver, il a étudié à l'université McGill de 1993 à 1998 et vécu à Montréal pendant sept ans.

« Après mes études à McGill, je voulais m'établir définitivement à Montréal, j'aimais beaucoup la ville. Je voulais m'y tailler une réputation, jouer dans les bars locaux, enregistrer. J'ai alors reçu l'invitation d'étudier avec Bob Brookmeyer, avec qui je correspondais déjà afin d'étoffer un cours d'arrangements que je donnais alors à McGill. À la lecture de ma musique, il m'a fait admettre au New England Conservatory.

« Je ne pensais pas étudier davantage mais je pouvais refuser cette offre de poursuivre mes études à Boston.  J'ai pu non seulement étudier avec lui mais j'ai pu aussi côtoyer des légendes tels George Russell, Steve Lacy ou Lee Hyla. Là-bas, j'ai pu disposer d'un laboratoire extraordinaire où je pouvais  soumettre mes compositions à un big band d'étudiants. C'est à ce moment que j'ai commencé à prendre très au sérieux l'écriture pour grande formation. Je n'avais pas idée que cela deviendrait une activité principale. »

En 2005, la Secret Society de Darcy James Argue est née à New York, là où le jeune chef de 36 ans s'est établi au terme de ses études. Son orchestre de 19 musiciens a lancé l'album Infernal Machines -  sous étiquette New Amsterdam. Depuis lors, le buzz à l'endroit de ce big band nouveau genre est de plus en plus considérable.

« Bien sûr, je compte enregistrer un nouvel album l'an prochain. J'ai créé plus de matériel qu'il n'en faut et je continue de composer. Pour  l'instant, je travaille à développer notre auditoire et la meilleure façon d'y parvenir est de prendre la route. Et nous avons enfin obtenu le financement nécessaire à une tournée canadienne . Vous savez, mener les destinées d'un big band en 2011 exige des efforts financiers considérables... Et je dois assumer ma dépendance à un véhicule si peu rentable ! »

Darcy James Argue's Secret Society se produit mercredi, 29 juin, 18h, au Gesù dansle cadre de la série Jazz Beat