Le folksinger Alexandre Poulin est occupé comme pas deux. En fait, oui, exactement comme deux. Un peu normal, puisqu'il gère en parallèle l'ascension lente mais soutenue de sa carrière européenne et l'appel indéniable de sa famille, de sa maison et de ses fans québécois. Entre des séries de concerts dans les ancien et nouveau mondes, La Presse a freiné la course, le temps d'un café dans le Mile End, du chanteur et raconteur.

Le lancement de l'album Le mouvement des marées, comme une pierre dans l'eau, n'en finit plus de provoquer des ondes. Et fort positives. Plus tôt cette année sur le plateau d'On n'est pas couché, le poulain des Gilles Vigneault, Richard Desjardins et autres chanteurs à texte s'est fait encenser par l'animateur Laurent Ruquier et sa bande devant une audience presque deux fois millionnaire.

Comme quoi les allers-retours répétés du chansonnier au-dessus de l'Atlantique ont fini par payer, sinon en argent, en réputation. Il se rappelle s'être installé, un soir de 2010, sur la petite scène des Trois Baudets, dans Pigalle, pour présenter modestement aux Parisiens les chansons de son deuxième album, Lumière allumée. «J'ai gratté les accords, puis j'ai commencé à chanter, mais j'ai vite compris qu'il y avait un problème, un décalage dans la chanson entre ma voix et le son qui sortait des haut-parleurs.»

Alexandre Poulin, nerveux, a alors regardé en direction de son public. Des dizaines de spectateurs entonnaient sa prose en choeur et par coeur, et s'avéraient la source de l'écho, plutôt qu'une quelconque défaillance technique.

À ce moment-là, au bord des larmes de joie, le petit gars de Sherbrooke a cru que l'aventure hexagonale n'était pas complètement folle, ni hors de portée. «Tout reste à faire, et je ne suis pas une star, mais j'ai la chance d'avoir assez d'admirateurs là-bas pour pouvoir faire mon vrai métier, c'est-à-dire des shows», se réjouit le verbomoteur de 36 ans.

Quatre ans plus tard, Alexandre Poulin a donné des dizaines de concerts à guichets fermés, de la mythique Scène du canal, à Paris, au petit Bijou, à Toulouse. Sans compter quelques concerts en Belgique et en Suisse, où il a reçu des mains de l'auteur Luc Plamondon le prix révélation au festival Pully-Lavaux 2014. Une reconnaissance de sa courte carrière, mais surtout du Mouvement des marées, que le public et la critique effeuillent tranquillement.

«C'est le premier album dont je suis vraiment fier, où je retrouve ma signature et une forme d'aboutissement, dit-il. Avec le temps, j'ai compris que tu ne dois jamais faire le disque que tu veux vendre, mais le disque que tu veux acheter.»

Lentement mais sûrement

Alors que ses premiers voyages professionnels en Europe s'étalaient sur plusieurs mois, il y passe maintenant un maximum de deux semaines consécutives, devoirs et amour obligent pour ce jeune papa.

L'expression «lentement mais sûrement» sied à merveille à cette anti-vedette instantanée, qui, à l'adolescence, écumait les bars de Sherbrooke, guitare à la main, pour reprendre des classiques folk. À force de concerts et d'albums, Alexandre Poulin a mis la main sur le prix de révélation de l'année à l'ADISQ en 2009, puis sur celui de l'auteur-compositeur-compositeur francophone aux Canadian Folk Music Awards, en 2011. «C'est facile d'entrer dans le salon des gens quand tu défonces la porte, illustre-t-il. C'est pas mal plus tough, mais pas mal plus intéressant, de se faire inviter. C'est l'approche que je privilégie.»

Les chansons d'Alexandre Poulin, composées librement et souvent sans refrain, reprennent les grands thèmes du genre, sur fond d'histoires personnelles: la distance, l'ennui et, quête inéluctable, l'amour.

Pas étonnant donc que ses chansons voyagent autant. Hors de question pour le Québécois, en outre, de troquer dans ses chansons le BIXI contre le Vélib', ou encore Hochelaga contre le 19e arrondissement, pour contenter son public français. «Je chante surtout des histoires, alors je crois que ça facilite la compréhension. Je vois mes chansons comme des courts métrages. Si le public ne comprend pas certains mots, il peut au moins se fier au contexte.»

La quête

La quête d'Alexandre Poulin a toujours été l'authenticité, bien plus que le succès, un bonus. «À un moment donné, en studio, j'ai convoqué ma petite équipe de musiciens pour un ''pep talk''. Je leur ai fait promettre que nous n'allions jamais nous poser deux questions: ''Est-ce que le monde va aimer ça?'' et ''Est-ce que ça va passer à la radio?"».

Les réponses aux questions jamais posées sont tout de même venues: oui et oui. Si bien que, au début du mois d'octobre, la chanson Comme des enfants en cavale a atteint le sommet des palmarès au Québec. Une carte de visite supplémentaire pour lui permettre de multiplier les concerts, ce qu'il chérit plus que tout.

Sur scène, le conteur côtoie abondamment le chanteur. «Les deux premiers disques que j'ai écoutés dans ma vie, c'est Richard Desjardins live au Club Soda; et Bonsoir, mon nom est Michel Rivard et voici mon album double. Complètement par hasard, c'était deux albums enregistrés en concert, où les chansons étaient entrecoupées de monologues. Dans ma tête, faire des shows, c'était ça: chanter, mais aussi parler au public. Et c'est resté.»

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Le 9 novembre, à L'Astral.