Le 17Off Jazz honore sa mission d'élever la pratique locale avec une rencontre entre musiciens montréalais, musiciens torontois et un pilier du jazz contemporain: Roscoe Mitchell.

À 76 ans, le musicien mène une double carrière de praticien et de professeur titulaire au renommé Mills College d'Oakland, où il enseigne depuis 2007 après avoir prodigué son savoir dans nombre d'établissements du Midwest - sa résidence permanente se trouve toujours à Madison, dans le Wisconsin.

Roscoe Mitchell demeure très actif sur le terrain de la création. Sa venue à Montréal pour la clôture de l'Off Jazz mettra en lumière ses plus récentes recherches sonores.

Ce projet consiste à orchestrer des compositions récentes pour 20 musiciens de Montréal et de Toronto, tous recrutés par le tromboniste Scott Thomson. Des concerts d'improvisation libre qu'il a donnés à São Paulo sont à l'origine d'une série de projets, dont celui qui soulève notre intérêt.

«J'avais transmis l'enregistrement de ces improvisations au pianiste Craig Taborn et au batteur Kikanju Baku; c'était l'esprit dans lequel nous avons enregistré ensemble les albums Conversations I et II [étiquette Wide Hive, 2014]. Les improvisations de ces enregistrements ont ensuite été transcrites et m'ont inspiré des compositions pour des orchestres de différentes configurations», raconte Roscoe Mitchell, joint en Californie il y a quelques jours.

Improvisations et partitions

Ces musiques écrites ont par la suite été soumises à des orchestres qui n'improvisent pas, mais au sein desquels leur concepteur pouvait improviser seul.

À Montréal (et aussi à Toronto, car l'ensemble s'y produira), la situation sera différente: 

«Les musiciens canadiens pourront à la fois lire des partitions et improviser. Plusieurs de ces musiciens sont multi-instrumentistes; je peux aussi compter sur une plus grande variété de possibilités. Voilà qui constitue une part importante de mes recherches personnelles sur le lien entre structures musicales préétablies et improvisation.»

Nouveaux territoires

Dans ce contexte, nous ne sommes vraiment plus dans cette forme jazzistique archiconnue qui consiste à laisser aux interprètes quelques mesures d'improvisation entre une introduction, un chorus ou une conclusion. Nous sommes plutôt sur le territoire de la composition en temps réel.

«L'idée est de toujours pousser plus loin cette relation, et faire en sorte que la lecture d'une oeuvre soit différente à chacune de ses interprétations.»

«Il faut atteindre un état où l'improvisation participe en temps réel à la transformation d'une composition. C'est pourquoi les musiciens intéressés par cet enjeu doivent à la fois étudier la composition, l'improvisation et même l'orchestration.»

Les études menées par Roscoe Mitchell mènent à de nouvelles mutations orchestrales où la créativité ici et maintenant peut étoffer des partitions déjà savantes. Et donc, elles investissent un tout nouveau territoire où jazz et musique contemporaine se confondent de plus en plus.

«L'improvisation, rappelle-t-il, est une pratique musicale qui remonte à la nuit des temps. Or, cette pratique s'est déclinée différemment selon les cultures et les époques, tant et si bien qu'aujourd'hui il y a encore moyen d'en faire évoluer les manières, et de rendre ainsi les orchestres plus intelligents. Voilà un processus inépuisable lorsqu'il se fonde sur un principe de liberté. Des musiciens y consacrent leur vie entière et... d'autres vies seront nécessaires pour que la quête se poursuive.»

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Au Gesù le 15 octobre, à 20h. 

Roscoe Mitchell, direction artistique, composition, saxophones; Gregory Oh, chef d'orchestre; Lori Freedman, Jean Derome, Yves Charest, Kyle Brenders, Peter Lutek, Jason Sharp, bois; Nicole Rampersaud, Craig Pedersen, trompettes; Tom Richards, Scott Thomson, trombones; Julie Houle, tuba; Marilyn Lerner, piano; Jean René, James Annett, violon; Rob Clutton, Nicolas Caloia, contrebasse; Michael Davidson, vibraphone; Isaiah Ceccarelli, Nick Fraser, batterie.

Qui est Roscoe Mitchell?

En 1965, le multi-instrumentiste, improvisateur, compositeur et leader d'orchestre a été l'un des pères fondateurs de la très importante Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM), qui est devenue, à Chicago, un des principaux tremplins de l'avant-garde musicale afro-américaine. La plupart des jazzophiles avertis ont dans leur discothèque des enregistrements de Roscoe Mitchell, qui s'est surtout fait connaître à travers l'Art Ensemble of Chicago, en plus de mener à bien une multitude de projets en tant que leader.

Cinq suggestions pour jazifier l'automne montréalais

> Christine Jensen et Maggi Olin - Au Lion d'Or ce soir, à 20 h

Ces Transatlantic Conversations sont construites autour d'un dialogue musical entre la saxophoniste canadienne Christine Jensen et la pianiste suédoise Maggi Olin, compositrices auxquelles se greffent notamment la chanteuse Sofie Norling, la trompettiste Ingrid Jensen, le saxophoniste Joel Miller ou le contrebassiste Rémi-Jean LeBlanc. Ainsi, un ensemble de 11 musiciens se consacrera à étoffer ces échanges nordiques que l'on annonce teintés de jazz moderne, de musique contemporaine, de folk ou de rock progressif.

> Aaron Shragge et Ben Monder - Au Lion d'Or, demain, à 20 h

Le trompettiste et flûtiste Aaron Shragge et le guitariste Ben Monder alimentent une relation musicale qui les a menés à enregistrer deux albums. Les off-jazzophiles montréalais pourront enfin inhaler les ambiances éthérées et exploratoires émanant du tandem new-yorkais. Cette aventure texturale, mélodique et harmonique exclut d'emblée toute acrobatie. Il est ici question de planer à l'intérieur des êtres.

> Jean-Pierre Zanella - Au Dièse Onze le 11 octobre, à 18 h

Quattro Venti, nouvel album autoproduit du Montréalais Jean-Pierre Zanella, présente des compositions imaginées lors d'un séjour du saxophoniste au studio du Québec à Rome. Inutile de préciser qu'il s'est alors inspiré de la grande beauté italienne. Ce jazz contemporain a d'ailleurs mobilisé des musiciens de renommée internationale tels le pianiste Aaron Parks et le guitariste Mike Moreno. À l'Off Jazz, cette musique sera jouée par le pianiste Pierre François, le contrebassiste Rémi-Jean LeBlanc et le batteur Paul Brochu.

> The Claudia Quintet - Au Lion d'Or le 12 octobre, à 21 h 30

Fondé par le batteur John Hollenbeck il y a 20 ans, The Claudia Quintet évolue au croisement du jazz actuel et de la musique contemporaine: excellentes compositions au programme. L'ensemble new-yorkais se compose aujourd'hui de musiciens haut cotés sur la planète jazz: Chris Speed, saxo ténor et clarinette, Drew Gress, contrebasse, Red Wierenga, accordéon et piano, Matt Moran, vibraphone. Voilà sans contredit un des concerts internationaux à ne pas rater à l'Off.

> 5 For Trio - Au Dièse Onze le 14 octobre, à 22 h 30

De Québec-Ville, ce dynamique 5 For Trio s'inscrit dans une nouvelle mouvance dont on fait état depuis un moment, axée sur un groove cohésif et inspirée de courants récents de la musique populaire, soit de l'indie prog à l'électro. L'instrumentation demeure néanmoins très jazz: Sylvain Saint-Onge, guitare électrique, Mathieu Rancourt, contrebasse, Jean-François Gingras, batterie. Ces jeunes musiciens élèvent les musiques populaires à un autre niveau par l'entremise du prisme jazzistique.

Photo archives, fournie par l'artiste

Christine Jensen