Dans une conjoncture difficile pour ladite musique actuelle, le 30e Festival international de Victoriaville ne peut s'en tenir strictement à ses propositions antérieures, force est de constater au terme d'un vendredi soir chargé.

Sludge métal saupoudré de psychédélisme chez Ufomammut; drone et bruitisme extrêmes chez Richard Pinhas, Merzbow, Tatsuya Yoshida et Keiji Haino; blues rock, prog rock, keb rock et improvisation libre chez Gros Mené à la rencontre de René Lussier.

Il y a trente ans, une cohorte importante de jeunes adultes férus de musique actuelle voyait dans le jazz contemporain, certaines formes d'avant-rock et folklores actualisés assez de carburant pour s'élever au-dessus du conformisme pop. Aujourd'hui, les profondes mutations médiatiques, la déficience de l'éducation musicale au profit de la culture populaire de base et le déclin dramatique du financement des arts plus pointus nuisent au développement des mélomanes.Par ailleurs, les tendances musicales sont tellement fragmentées aujourd'hui qu'il faut tenir compte de cette parcellisation pour en mobiliser une part congrue et assurer du coup le développement d'un festival aventureux, quelle que soit sa taille.

Dans ce contexte, le FIMAV a souvent résisté  à ces mutations, s'en est tenu à son petit réseau de gros noms (Zorn, Moore, Patton, Brötzmann, etc.) et limité volontairement sa croissance. Cette année, toutefois, on a senti une ouverture à l'aile gauche indie rock et à l'aile gauche métal, ouverture propice à un festival d'avant-garde présenté au centre du Québec. Aucun événement de même cousinage, en fait, n'offre ce volet important de la musique nouvelle. Celui de Victo vient enfin d'y faire trempette.

Pourquoi ne pas y plonger tête première dès l'an prochain?

Pourquoi ne pas multiplier les expériences de rock québécois à la sauce avant-garde comme Gros Mené à la rencontre de René Lussier? Deux décennies plus tôt, ce dernier ne fut-il pas le premier à vanter le talent de Fred Fortin, jeune bleuet qui venait à peine de débarquer à Montréal? L'annonce de cette rencontre sur scène était écrite dans le ciel, mais elle a eu grand temps pour s'effacer du firmament...  Vendredi soir, elle fut somme toute divertissante, plutôt nourrissante, sans pour autant que l'on en puisse garder un souvenir impérissable.

Fred Fortin, Olivier Langevin et Pierre Fortin constituent un trio de puissance, aguerri côté blues rock, prog rock et même un brin métal, ensemble au sein duquel Lussier ne semble pas toujours à son aise - du moins pouvait-on le percevoir ainsi via le mix dans la salle, son jeu n'étant pas toujours perceptible dans le magma global.

Plusieurs séquences concluantes, tout de même, le vétéran ayant fait l'effort de s'adapter au répertoire de Gros Mené, le trio ayant joué le jeu de l'improvisation libre et le discours proverbial de Lussier - chanson, folklore d'avant-garde, parlotte adaptée à un inimitable jeu de guitare, multiples effets de chaque main, on en passe et des meilleures. Très réjouissant malgré les moments, disons, moins intelligibles.

Célébrons aussi l'arrivée en force du métal au FIMAV, festival redondant sur le territoire du rock dur depuis des lustres avec l'excès d'invitations du genre The Melvins, Fantômas, Mike Patton ou le punk rock bruitiste en orbite autour de Thurston Moore. On avait droit enfin à une nouvelle proposition de choix: le trio piémontais Ufomammut. Voilà un bel exemple de musiciens limités techniquement, mais qui nous font oublier leurs carences par une imagination et un goût certains: le guitariste Giuliano Poggi dispose d'un arsenal de pédales qui lui permettent de déclencher une variété de fréquences saturées et de textures apparentées à l'esthétique électronique. La section rythmique (le batteur Gianni Vitarelli et le bassiste-chanteur Giovanni Rossi), elle, ne gagnera pas de prix, les résultats s'avèrent néanmoins probants.

Photo Martin Morissette, fournie par FIMAV

Uffomammut ( Giovanni Rossi)

Le plat de résistance était en quelque sorte le deuxième chapitre d'un concert mémorable, réunissant en 2011 Merzbow, Richard Pinhas et Wolf Eyes. Décollage prévu à l'aéro... drone! Au lieu du groupe américain, cette fois, le guitariste français était exclusivement entouré de collègues japonais: l'artiste électro Masami Akita (Merzbow), le batteur Tatsuya Yoshida, le sorcier Keiji Haino à la guitare, aux percussions, aux chants et cris «chamaniques».

Après une solide introduction de voix aériennes sur fond de saturation, le quartette a cherché à prendre son envol pendant une dizaine de minutes, flottement au terme duquel les quatre musiciens ont également contribué à trouver une issue créative. Plus variée, moins linéaire que prévu. Très fort! Seule ombre au tableau, les motifs de Pinhas auraient pu être mieux mis en valeur dans le mix.

La vie est ainsi faite...

Ce soir au Festival international de musique actuelle de Victoriaville: Fred Frith & Evan Parker, 20 h, Ken Vandermark «Audio One»,22 h, Keiji Haino, Oren Ambarchi et Stepen O'Malley, minuit.

Pour infos: fimav.qc.ca

Photo Martin Morissette, fournie par FIMAV

Merzbow, Tatsuya Yoshida, Richard Pinhas, Keiji Haino