Les deux Alain - Thibault et Mongeau - oeuvrent au coeur même de Montréal, capitale numérique. Avec les événements Elektra, Mutek et la Biennale d'art numérique (BIAN), ils ont créé une vague qui n'a rien d'artificiel et qui n'a pas fini de rouler. Petite histoire de l'éclosion d'un Printemps attendu.

En chiffres, le Printemps numérique bourgeonne de façon impressionnante. La fusion Elektra-Mutek donne EM15 (du 27 mai au 1er juin), avec 16 concerts en première mondiale, 15 autres en première canadienne et 15 en première québécoise. La BIAN (du 1er mai au 19 juin) ne sera pas en reste, avec près d'une cinquantaine d'expositions partout en ville.

Le Printemps est un fruit mûr qui a pu être cueilli grâce à un travail d'une vingtaine d'années de la part de promoteurs allumés, d'artistes tout aussi créatifs et d'institutions qui ont finalement compris la force de ce courant.

Il y a cinq ans, Alain Thibault (Elektra et BIAN) et Alain Mongeau (Mutek) ont reçu ex aequo le Grand Prix du Conseil des arts de Montréal (CAM). Pour le grand public, c'était une révélation, mais, dans la petite communauté numérique montréalaise, c'était presque chose due.

Les deux festivals d'art numérique montréalais célébraient déjà depuis 10 ans les artistes d'ici et d'ailleurs en mettant Montréal sur la carte d'un art nouveau, en lien avec l'industriel et le scientifique, en réunissant des pratiques diverses allant de l'installation à la musique, de la robotique à la cinétique, en passant par la photographie, la vidéo et l'interactivité.

La fusion Elektra-Mutek de cette année n'a donc rien d'un mariage forcé. Cela ressemble plutôt au constat d'une grande réussite.

«On doit reconnaître l'effort du CAM en 2010, explique Alain Mongeau. C'est le Conseil des arts qui a le moins d'argent, mais il est plus proche des besoins du milieu. Ils ont été les premiers à faire un geste avec Mutek.»

«Montréal est une ville particulière, ajoute Alain Thibault. Ce qui se passe ici n'a pas lieu à Toronto ou à Vancouver. Pour Elektra, le Conseil des arts et des lettres du Québec a été l'élément déclencheur.»

À point nommé

Grand Prix du CAM, étude commandée par le ministère de la Culture sur le numérique, changement de paradigme de nouveaux médias et art électronique à numérique. Il y a eu convergence d'intérêts politiques, économiques et artistiques allant peu à peu vers ce Printemps numérique.

«L'idée a été lancée en 2005 et flottait dans l'air, raconte le directeur de Mutek. On a recommencé à en parler avec Elektra et la SAT [Société des arts technologiques] il y a deux ans. Elle a continué de cheminer et la CRE [conférence régionale des élus], organisme neutre, l'a cueillie et en a fait un cri de ralliement du milieu.»

Le milieu du numérique montréalais n'est pas soudé comme celui du cirque, par exemple. Artistes, programmateurs et diffuseurs tiennent leur carrière à bout de bras, en se méfiant quelque peu les uns des autres.

Travailler ensemble

Les travaux de mise en commun avançaient au moment où la nouvelle administration du Musée d'art contemporain se mettait en place. Tout de suite, les dirigeants ont donné signe de vie aux deux Alain.

«De notre côté, dit Alain Thibault, Elektra a changé ses dates pour coïncider avec Mutek. La Biennale regroupe par ailleurs les expositions et les installations.»

Le Printemps numérique était, au départ, l'idée d'une année/saison, mais le milieu a vite demandé que l'expérience se poursuive d'une façon ou d'une autre.

«Cette année représente un projet-pilote, mais nous visons 2017 et les célébrations du 375e anniversaire de Montréal, note Alain Mongeau. Pour le numérique, cependant, le 50e anniversaire d'Expo 67, en 2017, représente aussi une date importante puisque c'est là que Montréal s'est ouvert au monde. On veut clairement positionner l'avenir de la ville à travers le numérique.»

La Ville de Montréal contribue elle aussi à l'initiative en créant un Bureau de la ville intelligente. Le maire Denis Coderre y croit.

«Avec le Printemps, on veut faire connaître du grand public un secteur qui en vaut la peine, note Alain Thibault. Les artistes des nouvelles générations travaillent presque tous avec le numérique. C'est la réalité. Ça ne sert à rien de tenir un discours technophobe.»

«Ce qui était un «buzzword» est en train de se cristalliser, estime Alain Mongeau. On dirait que c'est le numérique partout en ce moment.»

Parions que ce n'est qu'un début.

Six incontournables printaniers

Ryoji Ikeda (Japon), C4I

«C'est la proposition du Musée dans la Biennale. C'est en format installation, une très belle pièce sur écran panoramique. C'est une expérience presque religieuse.» - Alain Thibault

Musée d'art contemporain, du 6 mai au 15 juin

Fabien Giraud et Raphaël Siboni (France), The Unmanned

«C'est une série de vidéos où l'humain perd sa place devant la machine. On peut notamment voir un travelling contrôlé par un ordinateur pendant 26 minutes.» - Alain Thibault

VOX, du 2 mai au 28 juin

Tim Hecker (Québec), Fog Works

«C'est une vedette mondiale. Depuis deux ou trois ans, il est dans tous les palmarès et en tournée permanente. Il offre une première mondiale.» - Alain Mongeau

Musée d'art contemporain, le 27 mai, 20 h

Robert Henke (Allemagne), Lumière

«Robert Henke est un inventeur. C'est un dispositif qui utilise deux lasers. C'est un work in progress qui sera à point pour Montréal.» - Alain Mongeau

Cinéma Impérial, le 30 mai, 20 h 30

Nicolas Jaar (États-Unis), From Scratch

«C'est l'enfant prodige de la musique électronique. Il n'a que 23 ans. On a développé un rapport affectif avec lui.» - Alain Mongeau

Musée d'art contemporain, le 1er juin, 22 h

LAb [au] (Fédération Wallonie-Bruxelles), Signal to Noise

«Je voulais cette pièce depuis quelques années. Ils ont récupéré 512 afficheurs mécaniques logés dans une structure circulaire où se place le spectateur. C'est magnifique.» - Alain Thibault

Musée d'art contemporain, du 23 mai au 1er juin

Programmations complètes: bianmontreal.ca et em15.org