Visiteur régulier du Québec, comme humoriste et comme réalisateur, puisqu'il a tourné chez nous son premier film, Père et fils son dernier passage remonte à 2007 au Festival Juste pour rire. Michel Boujenah est de retour dans le cadre du Festival Sefarad, dont il est un habitué, où il vient présenter Enfin libre! Son tout nouveau spectacle, pour un soir seulement. Libre de quoi? C'est ce qu'il nous explique.

Q De quoi parle votre nouveau spectacle?

R De la difficulté de trouver sa liberté, d'être soi-même. De la liberté en amour, dans le travail. En même temps, je l'ai appelé Enfin libre! Parce que pour la première fois dans mon histoire, j'ai fait exploser ma manière de travailler. C'est à dire qu'avant, je travaillais toujours sur un thème: la mémoire, la paternité, le couple. Et là, je traverse des thèmes différents dans tous les sens. C'est construit avec l'esprit d'escalier, je procède par associations. C'est complètement fou.

Q Qu'est-ce qui vous a empêché d'être libre dans votre vie?

R Toutes les contraintes. En même temps, les contraintes, c'est la liberté. Je suis quelqu'un qui se pose beaucoup, beaucoup, beaucoup de questions. Tout le temps. Si je mets un pied devant l'autre je me dis: «Tiens, c'est marrant, je marche, mais pourquoi je marche? Qu'est-ce que ça veut dire que de marcher?». En même temps, je dois dire que c'est parce que je me suis posé beaucoup de questions dans ma vie et dans mon écriture que j'ai pu avancer, grandir et mûrir. Je pense que le doute fait énormément avancer. Là, je me suis lâché, et c'était bon. Si je suis capable de répéter ce geste? Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est qu'il s'agit d'une période tout à fait bénie dans ma vie. J'étais accroché à une falaise, j'ai lâché et je me suis rendu compte que je savais voler.

Q De ce côté-ci de l'Atlantique, on a l'impression que l'ambiance en France est plutôt morose et tendue. Comment se vit le métier d'humoriste en ce moment chez vous, alors que vous êtes un humoriste engagé contre le racisme?

R Comme une nécessité. Encore hier soir, je jouais, et je me rends compte qu'à chaque fois que j'aborde un sujet d'actualité, il y a de l'électricité dans l'air. Donc c'est nécessaire et indispensable de rire en ce moment. Surtout parce qu'il y a une vraie angoisse sociale aujourd'hui en France. C'est très étrange. En fait, on la sentait sourdre depuis longtemps. L'histoire des retraites, c'est comme un prétexte, comme s'il n'y avait plus de dialogue social, et que pour dialoguer, il faut descendre dans la rue. C'est le symptôme d'un vrai malaise. J'espère qu'on va en sortir. Il y a des chrétiens, des musulmans et des juifs qui se réunissent pour faire un gala qui s'appelle Le rire contre le racisme et l'antisémitisme. J'y participe chaque année depuis sept ans et j'y tiens beaucoup. Il ne faut jamais baisser les bras. Jamais. Il ne faut jamais dire que ça ne sert à rien.

Q Il y a quelques années, vous disiez en avoir assez de la solitude de la scène. Pourquoi y revenir après votre incursion comme réalisateur au cinéma?

R La solitude me paraît moins dure parce qu'elle n'est plus la seule activité de ma vie. C'est vrai que le cinéma m'a beaucoup apporté. À mes débuts, c'était au fond une solitude que je n'avais pas choisie. Personne ne voulait travailler sur mes thèmes, alors je me suis dit: je vais le faire tout seul. C'est devenu une drogue. Et comme dans toutes les drogues, on a beaucoup de plaisir. Mais c'est une drogue en même temps qui vous isole des autres. Donc faire du cinéma, ç'a été de retourner vers les autres. Depuis, la solitude n'est plus quelque chose d'imposé. Il me semble que je suis beaucoup mieux...

Q Donc, vous ne pourriez pas vous passer de la scène?

R Ah, ça viendra. Puisqu'un jour, je serai bien obligé de m'arrêter de jouer. Physiquement, je ne vais pas tenir si je continue comme ça. J'ai dépassé la moitié largement. C'est ça qui est insupportable, d'ailleurs. Mais ne parlons pas de ça, sinon je vais me suicider! Mais oui, tant que j'aurai la force de jouer, je vais jouer, c'est une chance incroyable. Vous vous rendez compte, je vais être seul au Saint-Denis? C'est un grand bonheur. Enfin, si tout le monde vient...

Enfin libre! de Michel Boujenah, le 9 novembre au Théâtre Saint-Denis, 20h.