Elle nous a fait crouler de rire avec la folle Criquette du Coeur a ses raisons. Elle nous a hérissés et émus dans J'ai tué ma mère. Elle est notre miroir de mère lucide et dépassée dans Les Parent. Voici qu'Anne Dorval nous revient en bobo branchée du Plateau aux côtés de Marc Labrèche, son âme damnée. Bye bye Criquette. Bonjour Sandrine Maxou.

Anne Dorval n'a jamais habité sur le Plateau. Elle n'a jamais chassé ni chaussé la dernière tendance. Elle fuit les premières et les restos branchés. Elle n'a pas de compte Facebook ou Twitter et peut à peine allumer un ordinateur. Elle vit dans la même petite maison à Notre-Dame-de Grâce avec ses enfants Alice et Louis depuis 15 ans. Plus important encore, elle ne considère pas qu'elle est hot. «Hot, moi? Jamais de la vie. Je suis la fille la moins hot en ville, celle qui, peu importe où elle est, se sent constamment déplacée», lance Anne Dorval en prenant une gorgée de vin blanc, sous un parasol avec vue imprenable sur le béton du stationnement de Télé-Québec.

Rencontrer Anne Dorval est toute une expérience. Parce qu'elle est stressée, anxieuse et angoissée, mais aussi, drôle comme un singe et pourvue d'un sens de l'humour dévastateur pétri d'autodérision. On croit qu'on sait tout d'elle. En réalité, on a tout oublié. Que c'est une fille de l'Abitibi, née à Rouyn-Noranda, au sein d'une famille de cracks des mathématiques, la plus jeune des quatre enfants de Gaétan Dorval, comptable, et de Madeleine Larouche. «Chez nous, le gros fun, c'est de passer la soirée à faire des calculs et à inventer des énigmes mathématiques, c'est tout dire!»

On oublie que son premier rôle, fraîchement émoulue du Conservatoire d'art dramatique, c'était celui d'Aurore l'enfant martyre dans une mise en scène de René Richard Cyr. On oublie qu'elle a passé plus de la moitié de sa vie professionnelle sans connaître Marc Labrèche malgré l'incroyable chimie qui les unit. On oublie son âge: 52 ans. D'ailleurs, même quand on en prend connaissance, on n'y croit pas. Il y a chez Anne Dorval une jeunesse d'esprit, une fantaisie et une légèreté fantasque qui l'ont prémunie contre le vieillissement précoce des os, mais surtout contre la calcification de l'âme.

La dernière chose qu'on oublie à son sujet ou qu'en fait, on n'a jamais vraiment sue, c'est qu'Anne Dorval déteste être en représentation. Pas quand elle joue sur scène ou devant la caméra, bien sûr. Mais partout ailleurs, dans la vie de tous les jours, où, en dehors des quatre murs de sa maison, elle cherche à passer inaperçue, petite silhouette discrète, habillée vintage, qui rase les murs et ne veut surtout pas être reconnue.

C'est pourquoi on ne la voit pas beaucoup sur les tapis rouges, ni dans les quiz à la télé. Pourquoi elle n'a jamais accepté d'être animatrice même si les offres n'ont jamais manqué. À cet égard, Anne Dorval est la parfaite antithèse de Sandrine Maxou, la nouvelle égérie des Bobos, un couple de branchés du Plateau qu'elle incarnera avec Marc Labrèche.

Inquiétudes

«Sandrine est tout en superficialité, mais elle ne le sait pas. Elle ne vit que pour être en représentation. C'est d'ailleurs pourquoi on ne la voit jamais dans son appart avec Étienne (Marc Labrèche). Les deux sont toujours dans des cafés, dans des restos, sur le plateau de leur émission de télé, La bande des deux, où ils reçoivent des gens pour des livres qu'ils n'ont pas lus et des films qu'ils n'ont pas vus. Leur but dans la vie, c'est d'être en représentation et de faire du bien à l'humanité. Ils sont ridicules, mais ils ne le savent ou, du moins, ils ne veulent pas le savoir.»

Anne Dorval adore son nouveau personnage, mais elle nourrit quand même certaines inquiétudes à son endroit. Ce qui l'inquiète le plus, c'est à la fois les très fortes attentes pour cette nouvelle série signée Marc Brunet et le saut dans le vide artistique qu'elle implique.

«Le coeur a ses raisons a commencé par des petites capsules dans les émissions du Grand Blond. C'est d'ailleurs à cause de la popularité des capsules imaginées par Marc Brunet qu'on nous a demandé de faire la série. Les gens connaissaient le ton et les personnages. Ils savaient à quoi s'attendre, mais avec Les bobos, on se lance sans filet. C'est merveilleux de pouvoir prendre ce risque-là, pour autant qu'on ne se casse pas trop la gueule. Et puis si c'est le cas, tant pis, au moins on aura essayé quelque chose.»

Entre deux mondes

Le tournage des Bobos a débuté durant l'été sur les chapeaux de roues et se terminera en janvier. Dorval a participé à la création du look de Sandrine avec la styliste Sylvie Lacaille, trop heureuse de s'affubler de chapeaux, elle qui n'en porte jamais dans la vie, ou de se jucher sur les semelles compensées des chaussures Jeffrey Campbell, le dernier cri dans le domaine.

Certaines semaines, Dorval sera Sandrine mur à mur. À d'autres moments, elle retrouvera la Nathalie des Parent aux prises avec des ados qui grandissent et surtout avec leurs blondes.

L'actrice aime bien ce va-et-vient entre deux mondes, deux tons, deux auteurs et plusieurs partenaires de jeu. Elle évoque la chimie particulière qu'elle a avec Marc Labrèche qui n'a pas sa pareille sauf avec Élise Guilbault. «Avec ces deux-là, je ne sais pas ce qui se passe, mais je pogne une sorte de shear. Je pense que ça a à voir avec la détente. Quand quelqu'un accepte tout ce qu'on a et tout ce qu'on n'a pas, la détente s'installe, l'humour aussi.»

Obsédée par la mort

Mais aussi drôle soit-elle, Anne Dorval est aussi une femme obsédée par la mort qui a déjà écrit le scénario de ses funérailles, qu'elle veut joyeuses et festives. Elle a aussi déjà réservé le traiteur: Josée di Stasio, de même que sa maquilleuse et son coiffeur.

«Je m'approche de ma tombe et je m'y prépare. J'apprends à me détacher et à dire adieu. Ça fait depuis ma 1re année que j'y pense. À mon cours de catéchèse, j'ai eu un choc en comprenant que j'allais finir dans un chaudron en enfer, mais aujourd'hui, je n'ai plus peur. Quand tout sera fini, j'espère être une étoile dans le ciel et une bonne étoile pour ceux que j'aime.»

Évidemment, Anne Dorval parle pour parler. Elle est en parfaite santé et il lui reste sans aucun doute de nombreuses années à vivre et surtout à nous faire rire avec ses frasques et ses folies. Bref, ce n'est pas demain la veille que son étoile va pâlir, sur terre ou dans le ciel.

Anne Dorval en quelques mots

Naissance

Le 8 novembre 1960 à Rouyn-Noranda en Abitibi, la cadette de quatre enfants. Une soeur et deux frères. La seule artiste d'une famille de mathématiciens.

Études

Arts plastiques au cégep de Trois-Rivières. Diplômée du Conservatoire d'art dramatique de Montréal. Promotion 1983.

Carrière

Entre 1985 et 2012, tient plus de 60 rôles.

Au théâtre

Aurore dans Aurore l'enfant martyre, mise en scène de René Richard Cyr. La religieuse dans Lettres de la religieuse portugaise, mise en scène de Denys Arcand.

À la télé

Lola dans Chambres en ville.

Criquette et Ashley Rockwell dans Le coeur a ses raisons.

Nathalie Rivard dans Les Parent.

Au cinéma

Chantal Lemming dans J'ai tué ma mère de Xavier Dolan.

Signes particuliers

Ne porte jamais de chapeau, ne suit pas la mode, adore les friperies et les encans de succession et a déjà écrit le scénario de ses funérailles.