Non mais, quels ingrats, ces écrivains. Nous lisons leurs livres, nous leur écrivons des papiers, nous leur jetons des étoiles, mais ils ne nous aiment pas, les critiques et les journalistes.

«Des nullards» selon Pierre Samson, dans une lettre à Bertrand Laverdure. Des «pisse-copie», «médiocres, paresseux intellectuellement», qui écrivent «comme des pieds» et «sabordent notre chaloupe en mer d'Amérique», mais des privilégiés de recevoir gratuitement toute la production littéraire québécoise, et trop bien payés, les salauds, pour la commenter. Plus clément, Laverdure estime qu'ils font un travail ingrat, voire masochiste...

Toutes ces réponses, messieurs.

C'est l'un des nombreux coups de gueule de cette correspondance littéraire, Lettres crues, qui vient de paraître chez La Mèche, entre deux écrivains que tout pourrait éloigner s'ils n'avaient cette passion profonde pour la littérature avec un grand L. Samson qui ne jure que par Les Herbes Rouges où il a publié Catastrophes et Arabesques , résolument romancier, scénariste à ses heures pour payer les factures, allergique aux salons du livre et aux lectures publiques. Laverdure, le «polymorphe», plus dispersé dans les maisons d'édition et les manifestations, poète, romancier et blogueur, auteur notamment de Lectodôme et Bureau universel des copyrights. Deux écrivains respectés et qui se respectent dans leurs admirations et détestations, ayant en commun d'être un peu trop «confidentiels» à leur goût parce que trop «expérimentaux» au goût du jour. Et là, là, le paradoxe, l'angoisse. N'est-il pas puéril et vain que de vouloir être connu? En même temps, qui veut écrire sans être lu?

L'amitié entre critiques et écrivains est impossible, sauf sur Facebook, qui ne sert qu'à s'espionner. Si par miracle elle survient vraiment, c'est rarement en raison de la littérature. Inutile de faire son gentil et d'aller dans les lancements, parce que 1) - il y en a trop, chacun veut le sien et 2 - si vous n'allez pas à tous, on vous accusera d'avoir des préférés. De toute façon, tout lecteur le sait, vaut mieux lire l'écrivain que le fréquenter.

Sans rire, il serait dommage de ne s'arrêter qu'aux bitcheries de Samson-Laverdure dans cette correspondance tonifiante - astringente, préférerait Samson - où l'on sent l'inquiétude de deux écrivains pour qui la littérature est le centre du monde dans un monde où elle a quitté le centre, particulièrement au Québec. Leurs exigences sont trop hautes pour leur époque et leur géographie. Deux écrivains québécois, l'un d'Hochelaga qui n'a pas fait d'études universitaires, l'autre de la mélancolique banlieue, qui ont bouffé de la vache enragée et qui continuent de marcher sur un fil, toujours avec cette conviction de la vocation et de la valeur suprême de la littérature. Tels des Laurel et Hardy ou Batman et Robin, ils construisent ce «Théâtre épistolaire de la littérature à l'époque des médias sociaux», et se mettent en scène, de façon très différente. Samson, l'hédoniste, raconte ses histoires de cul à Tokyo et trouve Laverdure parfois trop «dark». Il fait penser au chanteur de Right Said Fred qui nous répétait «I'm too sexy for»... Too sexy pour les médias, too sexy même pour le public. Laverdure se montre plus mesuré, moins cabotin, mais qu'on ne se fasse pas d'illusions, il est toujours en contrôle et sait frapper là où ça fait mal, dans un détour, comme un redoutable passif-agressif. Les meilleures pages, si l'on fait exception des hilarants passages pamphlétaires, concernent cette lutte impitoyable avec la langue, la structure du texte. Il faut en profiter: les débats esthétiques sont si rares de nos jours.

Les vaches sacrées, le monde de l'édition, les Délégations du Québec à l'étranger, l'étrangeté de ce Québec qui préfère les joueurs de hockey aux écrivains, ce public qui applaudit à n'importe quoi, tout y passe, si bien que Laverdure s'inquiète de tomber dans le cliché de l'intellectuel québécois frustré. «Mais à quoi s'attendre d'autre quand deux écrivains parlent de littérature au Québec? , note Samson. Doux parfums et joies tranquilles? C'est Marie Laberge et Jean-François Beauchemin qu'ils auraient dû inviter à papoter au lieu de jumeler des prolétaires de la chose écrite.»

Comme prolétaires, ils ont fait tous les métiers pour se consacrer à l'écriture, jusqu'à la prostitution (la vraie comme l'institutionnelle) - ils se mettent vraiment à nu - mais pour quels résultats? «À bien y penser, la publication d'un texte est l'admission d'un fiasco et s'accompagne d'une tristesse de vaincu» (Samson). «Écrire, au Québec, c'est foirer souvent, même si on nous récompense de papiers critiques, de bons mots, de tapes dans le dos et de subventions. Écrire, au Québec, c'est foirer nettement souvent.» (Laverdure).

Ce serait eux les masochistes s'ils n'avaient pas tant de plaisir à écrire.

cguy@lapresse.ca