On peut se demander pourquoi un peuple qui subit chaque année au moins six mois d'hiver, en plus des automnes ou des printemps gris et pluvieux, n'est pas plus littéraire. Quoi de mieux à faire que de lire ou d'écrire dans cet isolement des intempéries, au nord du monde qui parfois nous donne l'impression d'être voué à l'oubli?

Ce serait oublier que pendant longtemps, ici, la survie avait préséance sur tout. Et la littérature, c'est ce qui vient après la survie. Et survit-on pour lire? Rien n'est moins sûr...

J'ouvre Elles ont fait l'Amérique, de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, qui raconte les destins incroyables de ces femmes tombées dans ce gigantesque territoire (chez Lux Éditeur), je plonge dans un carnage iroquois du formidable recueil de nouvelles de Raymond Bock (Atavismes, Le Quartanier), je comprends cette affection pour le nomadisme de Noami Fontaine, jeune écrivaine innue qui vient de publier Kuessipan chez Mémoire d'encrier, je jalouse Robert Lalonde d'écrire aussi près des arbres et pour son oeuvre en général...

Et je me dis que oui, voici venu le temps d'aller me «perdre dans le bois». J'adore cette expression. J'ai beau avoir vécu toute ma vie au centre-ville, j'aime me croire l'héritière des défricheurs, je chéris ce qui me reste de sauvagerie, je sens le manque de la nature, qui est toujours si près, peu importe où l'on habite au Québec. Encore à quelques heures de route, même en 2011. Les Européens ne savent pas ce que c'est, voilà pourquoi ils sont dingues de nos «grands espaces», pour lesquels, par chauvinisme, on adore croire qu'ils n'ont pas l'étoffe. On respecte plus les immigrants qui ne viennent pas ici en touristes, et qui partagent vraiment la dureté de cette géographie - l'hiver est une nationalité, c'est Gilles Vigneault qui l'a dit.

Je me sens chez moi dans la forêt et je n'ai jamais vraiment su pourquoi. Bien sûr, cela n'a rien à voir avec les aventuriers d'une autre époque. C'est le chalet tout ce qu'il y a de plus confortable, idéalement coupé du monde, et garni d'une bibliothèque temporaire. Mais c'est une chance inouïe que de pouvoir se dépouiller quand on le veut du jeu urbain. Pour combien de temps, ce luxe? Nul ne le sait, mais c'est un sacré luxe sur une planète comptant 10 milliards d'êtres humains. Le privilège de ceux qui ont choisi d'aller vivre dans cet endroit reculé et hostile que Jacques Cartier a vu, au début, comme la «Terre de Caïn».

Aller se «perdre dans le bois», c'est peut-être ce que le Québec vient de faire aux dernières élections, qui sait. On aime tellement le croire prévisible, ce Québec qui ne l'est pas du tout. Qui dit «oui, oui, bien sûr» quand on lui parle d'une terre, et qui, finalement, se pousse très loin comme un coureur des bois dès qu'on pense le faire manger dans sa main.

Je m'en vais lire dans le bois, autant dire me perdre. Dans les mots, dans les arbres. Dans le silence, surtout. Des boîtes pleines de livres qui n'ont aucun rapport avec l'actualité et qui redonnent donc un peu un sentiment d'éternité - touchons du bois...

Je vous retrouverai en septembre, puisque ceci est mon dernier signet de la saison. D'ici là, faites le plein de lectures, de soleil, de repos et de bons moments. Nous ne sommes pas faits en bois, comme on dit, alors profitez des quelques semaines de clémence de notre impitoyable météo nordique. On en aura tous besoin pour affronter l'automne qui s'en vient. Car, c'est évident, on n'est pas encore sorti du bois...





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