J'espère que Jean Barbe ne m'en voudra pas de lui chiper le beau titre de son dernier roman, mais c'est la phrase que j'avais en tête cette semaine. Une belle semaine. Jacques Poulin recevant le prix Gilles-Corbeil lundi, Obama remportant la présidence mardi, tout cela vécu dans la chaleur de l'été des Indiens m'a évité une déprime certaine à l'annonce de ces élections incongrues au Québec.

L'huître, fermée sur elle-même, se met à créer patiemment de la beauté lorsqu'un irritant pénètre dans sa coquille. Elle enrobe de nacre ce qui la fait souffrir et donne une perle. C'est la belle image que j'associe à la fois à Barack Obama et à Jacques Poulin.

 

La victoire d'Obama nous a épargné une vice-présidente qui ne sait même pas que l'Afrique est un continent, et survient au terme de huit années dominées par un président inculte. On parle même d'un écrivain-président, ce qui réjouit le monde des lettres américain. Tous s'accordent à dire que Les rêves de mon père et L'audace de l'espoir, les deux livres de Barack Obama, vont bien au-delà de la biographie politique, l'immense Toni Morrison la première. Jonathan Safran Foer a dit: « Du fait d'avoir un écrivain-président - et je ne veux pas dire par là un auteur publié mais quelqu'un qui connaît toute la valeur d'un mot soigneusement choisi - j'ai soudain le sentiment pour la première fois d'être non seulement un écrivain qui se trouve à être américain, mais aussi un écrivain américain. « Rick Moody, ancien partisan de Hillary Clinton, considère importante la dimension culturelle de l'élection d'Obama. « Ici aux États-Unis, on a pu sentir durant les années Bush le peu de considération qu'il y avait pour l'art. On peut raisonnablement penser que nous allons connaître une période bien meilleure. «

C'est bien la première fois que j'envie les citoyens des États-Unis, quand je pense aux récentes élections canadiennes... Et, encore une fois si vous le permettez, les mots de James Baldwin me sont revenus quand j'ai vu Obama s'avancer avec tant de noblesse et de sobriété sur la scène à Chicago. « Je ne saurais accepter de n'avoir point voix au chapitre des affaires politiques de mon pays, écrit Baldwin dans La prochaine fois, le feu. Je ne suis pas sous la tutelle des États-Unis. Je suis un des premiers Américains à être arrivés sur ces rives. Le passé du Noir, ce passé de corde, de feu, de torture, de castration, d'infanticide, de viol; de mort et d'humiliation; de peur, jour et nuit; de doute qu'il soit digne de vivre puisque tous ceux qui l'entourent affirment le contraire; de chagrin pour ses femmes, ses parents, ses enfants, qui avaient besoin de sa protection et qu'il ne pouvait protéger; de haine pour les hommes blancs, si violente que souvent elle rejaillissait sur lui et rendait tout amour, toute confiance, toute joie impossibles - ce passé, ce combat sans fin pour acquérir, révéler, confirmer une identité d'homme, une autorité d'homme, a en lui, pourtant, au milieu de tant d'horreur, quelque chose de très beau. Mon intention n'est pas de m'attendrir sur la souffrance - certes point trop n'en faut - mais ceux qui ne peuvent pas souffrir ne peuvent pas non plus mûrir, ne peuvent jamais découvrir qui ils sont vraiment. «

La veille, à la Grande Bibliothèque, Jacques Poulin était absent pour recevoir le « Nobel québécois «, mais il a répondu dans un petit film aux questions du président du jury, Robert Lévesque, et c'était Jack, le vieil écrivain des Yeux bleus de Mistassini, qui nous parlait. Une vie loin des caméras explique sa posture figée devant l'objectif, rare concession pour le prix Gilles-Corbeil. Dans ce document qui sera forcément d'archives, M. Poulin était d'une touchante maladresse.

Cette nudité des sentiments qui n'est en rien de l'impudeur, voilà, je crois, la beauté de l'oeuvre de Jacques Poulin, et de l'homme. Robert Lévesque a cité dans son discours la serveuse du restaurant Buade dans Le coeur de la baleine bleue: « Ça n'a pas de sexe, ça n'a pas d'âge, ça ressemble parfois à un chat, c'est le contraire du mépris, ça s'appelle la tendresse... «

L'humilité de Jacques Poulin n'empêche pas un formidable parti pris quasi aristocratique pour la forme, les mots, la littérature. Je suis si heureuse qu'on lui offre cette reconnaissance. Je suis si heureuse qu'il existe quelque chose comme un écrivain-président. Cette semaine, l'huître du monde nous a donné de magnifiques perles.

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