Précurseur, Frédéric Loury l'a été et continue de l'être avec Art souterrain, le festival montréalais d'art contemporain dont la 10e édition débute aujourd'hui dans le cadre de Nuit blanche. Dynamique et ambitieux, le Montréalais d'origine française poursuit sa quête de démocratiser l'art contemporain avec des projets qui diffusent des oeuvres dans la rue, les couloirs du métro, les commerces, les chantiers et même les grandes entreprises...

Si Frédéric Loury a l'art dans le sang, c'est la musique qui a nourri sa jeunesse. Saxophoniste puis violoniste, son arrière-grand-père maternel, Raymond Goutard, a joué avec Duke Ellington et Django Reinhardt. Son grand-père paternel, Philippe Loury, a fondé la maison de disques française Erato en 1953. Et son père a été l'un des principaux dirigeants de Sony Musique France.

Dans la vingtaine, Frédéric Loury organisait des soirées dansantes et des partys électroniques dans la région parisienne. Une prédilection pour les rassemblements artistiques qui a forgé son attrait pour l'événementiel.

Après des études de commerce, il arrive au Québec en 1994 pour accomplir son service civil au sein du Groupe Hachette. Fort de cette expérience, de son amour de Montréal et de son intérêt pour l'art, il finit par gérer bénévolement une galerie du centre-ville avant d'ouvrir la sienne, [sas], en 2002, dans l'édifice du Belgo.

LA GALERIE [SAS]

« Au début, je n'avais aucune vision artistique, alors j'y suis allé de façon intuitive », dit Frédéric Loury, qui a alors choisi de donner à sa galerie une dynamique divertissante avec des vernissages festifs très populaires. Peter Gnass, Karine Giboulo, Patrick Bérubé, Laurent Craste, Catherine Bolduc, Fred Laforge et Carlito Dalceggio font alors partie de son écurie.

Dès 2005, Loury multiplie les expériences. Il intègre le C.A. de l'Association des galeries d'art contemporain (AGAC). Emporte les oeuvres de ses artistes à la foire de Shanghai. Fait venir l'artiste français Pierre Bismuth à la Nuit blanche. Lance un concours de design sur t-shirts, OneTop, qui durera sept ans. « Ma mauvaise habitude est d'avoir des idées et de les mettre en forme ! », dit-il.

En 2006, avec ses collègues de l'AGAC, Joyce Yahouda, Éric Devlin, François Babineau et Matthieu Gauvin, il fonde la foire Papier pour promouvoir les artistes et regarnir les coffres de l'association. Lors de la première édition, en 2007, 17 galeries vendent pour 100 000 $ d'oeuvres d'art. L'an dernier, Papier 10 a exposé 39 galeries pour des ventes de 1 million...

ART SOUTERRAIN

Son expérience avec la Nuit blanche l'incite à créer Art souterrain le 28 février 2009. Avec 60 bénévoles, 58 000 $ (dont 35 000 $ de sa poche) et la collaboration de Montréal en lumière, qui organisait à l'époque la Fête du Montréal intérieur et souterrain.

« Je me rendais compte de l'effervescence créée quand on met une oeuvre dans l'espace public. Michel Labrecque, alors PDG de Montréal en lumière, a été le premier à y croire. Il avait vu ce que j'avais fait à la Nuit blanche les deux années précédentes. Il m'a fait confiance et m'a mis en relation avec les propriétaires d'édifice. »

- Frédéric Loury

« Avec le sourire et l'énergie qu'il a, c'était difficile de lui dire non ! », dit aujourd'hui Michel Labrecque, actuel président de la Régie des installations olympiques.

« J'ai vu travailler Frédéric Loury, je l'ai vu convaincre Tourisme Montréal et le Conseil des arts, à un moment donné, il avait plus de financement que la Nuit blanche ! ajoute le fondateur de Montréal en lumière, Alain Simard, en éclatant de rire. Il a toujours eu la foi dans ce qu'il fait. Je suis très fier d'avoir pu contribuer à ce que ça puisse lever. »

Soutenu aussi par l'AGAC, Art souterrain devient rapidement un succès populaire, et Frédéric Loury réalise qu'avec sa galerie, c'est trop de travail. [sas] ferme donc en 2013. « Ce fut un choix déchirant. Mais quand je vendais des oeuvres à Miami, ma tête était ailleurs. Art souterrain avait envahi tout mon espace mental. »

BONNE GOUVERNANCE

Année après année, Art souterrain se fortifie avec de nouveaux partenariats privés et publics (51 cette année !) et une bonne gouvernance assurée par un conseil d'administration qui veille sur l'organisme à but non lucratif. Mais aussi avec de belles pointures de l'art, comme le Britannique Martin Parr, l'Américain Hugh Kretschmer, le Néerlandais Jan Banning ou la Mexicaine Dulce Pinzon, cette année, ou encore le Sénégalais Omar Victor Diop, le Polonais Artur Zmijewski et le Taiwanais Shen Chao Liang, l'an dernier.

Fred Loury est fier du résultat obtenu avec un budget qui représente 18 % de celui de la dernière Biennale de Montréal.

« Dix éditions d'Art souterrain, ça m'émeut. Il a quand même fallu que j'attende huit ans pour me verser un salaire ! L'aide de L'Arsenal pour diminuer nos dépenses a été importante, mais on a aussi su développer d'autres projets. »

- Frédéric Loury

DIVERSIFIER LES ACTIVITÉS

Art souterrain s'est en effet étoffé grâce à des initiatives qui ont sécurisé sa santé financière et rassuré les bailleurs de fonds. D'abord, Vitrine sur l'art, qui a embelli des quartiers commerciaux de Montréal depuis 2016 en plaçant des oeuvres d'artistes réputés dans les vitrines de magasins vacants. Frédéric Loury a ensuite créé des animations de chantiers municipaux, comme Déviation, l'an dernier, dans le quartier Saint-Henri.

Il a lancé Art en entreprise, des expositions éphémères dans des sociétés comme Ubisoft. « Ça permet de développer un nouveau public et, pour les entreprises, d'inviter des clients pour montrer les oeuvres et générer des occasions d'affaires. »

Puis il a mis sur pied Le cercle des 100, un club de gens d'affaires qui souhaitent entrer dans les coulisses de l'art, que ce soit les ateliers d'artistes ou des collections privées.

MARCHÉ DE L' ART ÉMERGENT

Enfin, Art souterrain vient de s'associer au carrefour jeunesse-emploi du centre-ville et au Conseil des arts de Montréal pour organiser un marché de l'art émergent. « On va identifier, former et accompagner 30 jeunes artistes visuels par an, dit-il. Pour les faire connaître et créer un marché de premiers acheteurs. »

Pendant trois mois, ces artistes recevront une formation en mise en marché, en administration et en affaires juridiques. Leurs oeuvres seront ensuite exposées dans divers espaces publics.

CÉLÉBRER L' ART

« Notre responsabilité est de faire connaître l'art, affirme Frédéric Loury. Pour que le public n'ait pas l'impression d'entrer dans une forteresse, comme le Musée des beaux-arts de Montréal l'a compris. C'est pour ça qu'on a décidé de sortir des souterrains cette année, avec neuf sites satellites. »

Se disant inspiré par la détermination d'un Frédéric Metz, Loury est une usine à idées. À l'avenir, il veut s'assurer qu'Art souterrain permette d'exporter des artistes québécois. Il veut aussi travailler avec les écoles et susciter l'intérêt des communautés ethniques et des aînés pour l'art contemporain. « Un travail de fond énorme », lâche-t-il, avant d'être submergé par l'émotion en évoquant ses collaborateurs qui forgent, avec lui, le destin d'Art souterrain.

« Les bénévoles se sont tellement investis et m'ont tellement fait confiance que j'ai envers eux une immense gratitude, dit-il. Pour qu'une idée se concrétise, il faut une vision partagée. Je suis déterminé, mais mon équipe est là pour réguler mon côté rêveur ! Et m'inspirer. Je suis un déclencheur, mais le jour où je quitterai Art souterrain, il faudra une relève pour continuer et évoluer... »

CINQ INFLUENCES DE FRÉDÉRIC LOURY

Le designer Frédéric Metz, Jean-François Bouchard (cofondateur de l'agence Sid Lee), le galeriste montréalais Pierre-François Ouellette, le Centre Clark, la danseuse et chorégraphe Marie Chouinard.

DIX PERSONNALITÉS ÉVOQUENT LA CARRIÈRE DE FRÉDÉRIC LOURY

ALAIN SIMARD

FONDATEUR DE MONTRÉAL EN LUMIÈRE ET PDG DE SPECTRA

« Frédéric Loury est très décidé, très charmeur et très vendeur, et a une bonne connaissance du milieu de l'art contemporain. Il a monté quelque chose de très important pour Montréal, car, avec Montréal en lumière, Art souterrain contribue à positionner Montréal comme un carrefour international sérieux en ce qui a trait à l'art contemporain. »

MICHEL LABRECQUE

PRÉSIDENT DE LA RÉGIE DES INSTALLATIONS OLYMPIQUES, EX-PDG DE MONTRÉAL EN LUMIÈRE

« Frédéric a une intelligence artistique. Il est doué en médiation culturelle. Art souterrain, c'est fantastique ! Frédéric Loury a rajouté une couche à la réputation de la ville souterraine. Quand on fait le parcours, on se dit : "Montréal, quand même, quelle ville !" »

PIERRE TRAHAN

COLLECTIONNEUR, FONDATEUR DE L'ARSENAL

« Art souterrain est aujourd'hui bien connu à l'étranger. On m'en parle lorsque je voyage. Frédéric est une personne que j'admire énormément, avec son équipe de bénévoles tout aussi dévouée à cet événement. C'est la raison pour laquelle je continue à les encourager en leur fournissant des espaces de bureaux dans L'Arsenal et en leur donnant accès aux oeuvres de la collection Majudia pour faciliter leurs projets présents et futurs, y compris les vitrines sur les rues et expositions extérieures. »

ELIZABETH-ANN DOYLE

COFONDATRICE DE MU

« Art souterrain est devenu incontournable dans l'écosystème culturel de Montréal. C'est une vitrine incroyable pour la relève et l'occasion pour le grand public de se familiariser avec les nouvelles pratiques en arts visuels. »

PIERRE-FRANÇOIS OUELLETTE

GALERISTE

« Rencontrer Frédéric Loury, c'est faire la rencontre d'un homme de passion à l'enthousiasme contagieux. Il sait partager son amour pour l'art, ses idées de démocratisation des pratiques artistiques et, surtout, réaliser ses rêves, comme en témoignent les 10 ans d'Art souterrain. Je suis convaincu que de nombreux passants ont fait la découverte de l'art actuel pour la première fois grâce à cette initiative. »

CATHERINE BOLDUC

ARTISTE

« Frédéric n'a jamais eu peur de voir grand. Ses ambitions sont à la hauteur de son amour de l'art. Lorsqu'il croit en toi, il s'investit et expose tes oeuvres partout où il peut. Il fait partie de ces rares et précieuses personnes qui croient que les arts visuels gagnent à sortir dehors, à exister dans l'espace public. C'est le moteur d'un foisonnant projet comme Art souterrain, avec tous les risques que ça comporte. »

LAURENT CRASTE

SCULPTEUR CÉRAMISTE REPRÉSENTÉ PAR LA GALERIE [SAS] DE 2008 À 2013

« Frédéric Loury garde toujours en tête le potentiel d'intérêt et d'émerveillement que peut susciter une oeuvre auprès du public, avant son potentiel commercial. Il a souvent oeuvré à donner de la visibilité à des artistes émergents plutôt que de toujours miser sur des valeurs sûres. En m'offrant ma première grande visibilité internationale, il m'a mis le pied à l'étrier, ce dont je lui serai toujours reconnaissant. »

MANON GAUTHIER

EX-RESPONSABLE DE LA CULTURE À LA VILLE DE MONTRÉAL

« Dix ans d'audace, d'innovation, de vision... à oeuvrer sans relâche ! Il aura fallu ce talentueux Frédéric pour reconquérir l'espace public, parsemer d'art la métropole et son parcours sous-terrain et, enfin, mettre en valeur le potentiel de cet attrait distinctif de Montréal. »

ANDRÉ DUFOUR

COLLECTIONNEUR

« J'apprécie beaucoup le désir sincère de Frédéric Loury de démocratiser l'art. Ses initiatives permettent au public de côtoyer et de se familiariser avec l'art contemporain dans des endroits publics. C'est formidable pour notre ville de pouvoir compter sur ce genre d'initiatives. »

FRANÇOIS BABINEAU

(GALERIE SIMON BLAIS), PRÉSIDENT DU CA DE L'ASSOCIATION DES GALERIES D'ART CONTEMPORAIN

« De Frédéric Loury, j'aime beaucoup le côté entrepreneur culturel. Montréalais d'adoption, il a fait sienne cette bouillante métropole culturelle. En plus d'y ajouter, au fil des ans, sa propre empreinte. »

EN 10 DATES

FRED LOURY

1970

Naît à Boulogne-Billancourt (France)

1994

Arrive au Québec

2002

Ouvre la galerie [sas]

2009

Fonde Art souterrain

2010

Organise une exposition à l'Expo universelle de Shanghai

2013

Fermeture de la galerie [sas]

2015

Met sur pied le Cercle des 100

2016

Crée Vitrine sur l'art et Art en entreprise

2018

10e édition d'Art souterrain

2018

Va créer à Montréal un marché de l'art émergent

Photo fournie par la galerie SAS en 2012

Le sculpteur céramiste Laurent Craste a présenté son exposition Possession à la galerie [sas] en mars 2012.

Photo Arthur Jarreau, fournie par Art souterrain

L'exposition multidisciplinaire e-merge, une vitrine sur la création, a été montée par Frédéric Loury en marge de la rencontre C2-MTL, à Montréal, en mai 2012.