Deux fois par mois, des déficients visuels, notamment des aveugles, visitent une exposition du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). La Presse a participé à un de ces parcours dirigés par la guide Marie-Josée Daoust, qui décrit les oeuvres d'art et devient les yeux des visiteurs.

Marie-Josée Daoust est l'une des 140 guides bénévoles du MBAM depuis 10 ans. Elle y accompagne souvent des aveugles et d'autres personnes ayant des problèmes de vue depuis qu'un programme a été mis sur pied à leur intention, en 2015.

Enseignante de philosophie à la retraite, elle a reçu une formation en histoire de l'art à l'Université de Montréal, ce qui lui permet de rendre ces visites fort nourrissantes pour l'esprit. Nous en avons été témoins récemment.

Quatre aveugles et malvoyants (et leurs accompagnatrices leur permettant de circuler) s'étaient inscrits pour visiter la section médiévale du Pavillon pour la paix Michal et Renata Hornstein.

« Je vais essayer de vous faire voir l'art du Moyen-Âge », dit Marie-Josée Daoust.

Pendant une heure et demie, elle a décrit une dizaine d'oeuvres d'art créées entre l'Antiquité et la Renaissance. Mais en premier lieu, elle a fait toucher les grandes arches en acier Corten de 300 kg chacune qui délimitent l'espace des plus anciennes oeuvres médiévales, une salle qui rappelle la nef d'une église gothique. Elle leur a dépeint la forme de cet espace, précisant notamment ses dimensions (« 73 pieds de long et 12 pieds de large », a-t-elle dit).

Toucher avec des gants

Arrivé devant une tête d'apôtre en calcaire sculptée en France dans la première moitié du XIVe siècle, le groupe a pu palper l'oeuvre après avoir enfilé de petits gants. Puis, chaque visiteur a donné ses impressions. « La tête a les cheveux frisés », a dit une femme. « Il a une barbe bouclée et un nez cassé », a dit un autre.

Marie-Josée Daoust a ensuite présenté les caractéristiques d'un vitrail sur la décapitation de Jean-Baptiste. Avec une précision aussi fine que celle des imagiers du Moyen-Âge qui créaient des vitraux détaillés pour que les paroissiens analphabètes puissent avoir accès aux particularités de l'histoire sainte.

Transmettre un savoir de la façon la plus précise possible, telle est la tâche de Marie-Josée Daoust. Chacune de ses descriptions débute par les dimensions approximatives de l'oeuvre. Elle précise ensuite sa composition, détaille les couleurs, la texture des vêtements, les traits des personnages, leur expression, etc.

Parfois, elle fait même mimer les gestes des personnages peints par les aveugles pour qu'ils visualisent mieux le tableau. Et surtout, elle raconte son histoire dans ses moindres détails, évoquant le peintre, sa technique et l'intention derrière la création.

À l'écoute de la guide

Les personnes malvoyantes et aveugles sont concentrées, écoutent. L'une d'entre elles, Danielle Fouquereau, s'approche d'une oeuvre. « Je vois un tout petit peu, dit-elle. J'aperçois les couleurs, mais moins les structures. »

Quant à Suzanne Lalumière, elle-même artiste peintre (elle expose ses oeuvres à partir de samedi à la maison de la culture Mercier, dans le cadre de l'événement Symphonie de talents), elle a une vision presque nulle. Elle ne perçoit que des formes noires et blanches. « Je suis ses yeux, dit sa conjointe Michèle Rolland, qui l'accompagne. En voyage, on va au musée. J'apprends beaucoup des guides qui nous apprennent des choses qu'on ne verrait pas sinon. »

De son côté, Jean-Daniel Aubin, qui dit voir « en sections », en est à sa quatrième visite. « J'apprécie vraiment, dit-il. Ça comble un deuil que j'ai dû faire. »

« Je dirais même qu'à la limite, c'est plus intéressant que quand je voyais les oeuvres, vraiment. Je les vois autrement. La guide fait appel à notre imagination. »

« Marie-Josée est fabuleuse, ajoute Yves-Marie Lefebvre, qui a une forte déficience visuelle. On en apprend énormément avec elle. C'est extraordinaire. Avant, je n'allais jamais au musée. Maintenant, je suis accro ! »

« Notre but est de faire en sorte que n'importe quel citoyen ait une belle expérience en venant au musée, dit Thomas Bastien, directeur de l'éducation et du mieux-être au MBAM. Je dirais même que ces visites pour personnes ayant des déficiences visuelles peuvent s'adresser à tous les publics, afin d'en faire des visites multisensorielles. Car la description des oeuvres par les guides fait intervenir d'autres sens. Elle transforme l'expérience au musée en en faisant une expérience bonifiée. »

Visites gratuites pour aveugles et malvoyants, le deuxième mardi du mois, à 10 h 30 (exposition temporaire) et le troisième mardi du mois, à 13 h (collection permanente), au Musée des beaux-arts de Montréal (1380, rue Sherbrooke Ouest). Inscriptions au 514 285-2000, #3

Photo Martin Chamberland, La Presse

Tête d'apôtre (France), troisième quart du XIIsiècle, calcaire, traces de polychromie, 23,2 cm x 14,8 cm x 16 cm. MBAM, achat. Fonds Annie White Townsend. Les visiteurs ont pu toucher cette sculpture après avoir enfilé des gants.

Photo Christine Guest, fournie par le MBAM.

La Décollation de saint Jean Baptiste, France vers 1275, verre coloré, plomb, 37,5 cm x 34,9 cm. MBAM, don de Mlle Mabel Molson.