«Croyez en vous-même. Écoutez votre voix intérieure. Suivez votre rêve.» Tel était le mantra de la peintre québécoise Joanne Corneau, mieux connue sous le pseudonyme de Corno, emportée mercredi matin à l'âge de 64 ans par un cancer de la gorge, à la clinique Hope 4 Cancer au Mexique.

«Ç'aura été un combat de chaque jour. Il y a deux mois, on lui a appris qu'elle n'avait plus que quelques semaines à vivre. Alors Joanne a décidé d'aller dans un hôpital de soins alternatifs pour le cancer à Tijuana. Son coeur a lâché, elle était rendue trop faible», a expliqué son frère, le psychanalyste et auteur, Guy Corneau à La Presse avant de s'envoler pour le Mexique.

«Ma soeur était une femme extrêmement dévouée à son art. Les couleurs, la force et la détermination dans son geste artistique m'ont toujours rendu très admiratif, tout comme le fait qu'elle se soit imposée comme femme il y a 25 ans à New York alors que ce n'était pas si facile à l'époque. C'était beaucoup de solitude pour travailler autant que ça», rappelle-t-il, ému.

Une fonceuse

Artiste hors normes, Joanne Corneau n'a en effet jamais été du genre à baisser les bras. Partie trouver la gloire à New York au début des années 90 sans parler plus de deux mots d'anglais, la Saguenéenne d'origine luttait discrètement depuis décembre 2015 contre la maladie.

«On se voyait pendant ses traitements. C'était mon amie depuis 40 ans; on partageait nos secrets, nos peines et nos joies. Joanne voulait tout essayer. Elle s'est battue, et ce, jusqu'à la fin», lance Alvaro, connu à Montréal comme le «coiffeur des stars».

C'est d'ailleurs sur les murs de son salon de l'avenue Laurier que de futurs collectionneurs comme Dominique Michel ou Réjean Thomas ont découvert les toiles de Corno dans les années 80. «On tombait sous le charme de l'énergie, de la folie Corno. C'était une femme généreuse qui fonçait tout le temps. Mais elle était d'une grande simplicité; c'était la petite fille de Chicoutimi, toujours présente pour ses amis», indique le coiffeur.

Corno ne tarde pas à faire parler d'elle à New York au milieu des années 90. Alors que ses premières oeuvres sont exposées chez un ami coiffeur, puis à la Steuben Glass Gallery, c'est la galerie Opera dans SoHo qui lui permettra de rayonner en tant qu'artiste à l'international.

«Tout comme ses toiles, elle était d'une telle vie et d'une grande force. On a tout de suite décidé de la présenter dans nos galeries à Paris, Londres et Singapour. J'ai vraiment beaucoup de peine: elle faisait partie de ma vie depuis plus de 15 ans», témoigne Éric Allouch, ancien propriétaire de la galerie Opera à SoHo.

Toujours bien entourée et à l'affût des dernières tendances, Corno n'hésite pas à accueillir ses amis régulièrement dans son repaire new-yorkais, où elle passe le plus clair de son temps.

«Elle était très disciplinée, mangeait bien, se couchait tôt. La peinture était toute sa vie. Elle m'a beaucoup aidée à mon arrivée [à New York] en 2007», se rappelle la journaliste Marie-Joëlle Parent qui a développé une relation d'amitié avec l'artiste qu'elle a souvent interviewée.

«La dernière fois que je l'ai vue, c'était à New York. Elle m'a dit qu'elle ne pouvait pas rester là, car ce n'était pas une ville propice à la guérison à cause du bruit, du monde et de la pollution. Ç'a dû être très dur pour elle, car c'était la ville qui nourrissait son art», se rappelle-t-elle.

En 2013, 60 jours avant un vernissage, Joanne Corneau avait accepté d'être suivie par le réalisateur Guy Édoin et son équipe pour le tournage d'un documentaire intitulé Corno, produit par Fabienne Larouche, amie de longue date de l'artiste.

«Ç'a été une belle et grande rencontre humaine, se souvient Guy Édoin. Corno était une femme très cultivée, tellement allumée par tout ce qui l'entourait. C'était surtout une passionnée, une battante, envers et contre tous, comme elle le disait si bien dans le documentaire», ajoute le réalisateur.

Une avalanche de commandes

À la galerie AKA dans le Vieux-Montréal, où sont vendues les toiles de Corno, le téléphone ne dérougissait pas, hier, après l'annonce de la mort de l'artiste peintre. «Je ne peux même pas vous dire le nombre de commandes que j'ai reçues», a affirmé le directeur Louis Plamondon, attrapé entre deux coups de téléphone.

«Les gens ont réservé beaucoup d'oeuvres ou ont pris rendez-vous. C'est difficile à gérer. Ceux qui ont déjà un Corno en veulent un autre. [...] Une cliente vient de partir; elle voulait absolument acheter une oeuvre aujourd'hui. Je ne sais pas si on peut parler de frénésie, mais beaucoup de clients mettent des oeuvres de côté», a expliqué celui qui communiquait avec l'artiste sur une base quotidienne.

Pourtant, le milieu de l'art contemporain n'était pas unanime sur la valeur artistique des oeuvres de Corno.

«Elle était adorée par le public, par les gens qui l'entouraient, mais il y a toujours eu un problème avec l'intelligentsia de l'art qui la trouvait trop commerciale et pas assez conceptuelle», précise Éric Allouch.

«Moi, j'ai acheté mon premier tableau de Corno en 1982. C'était un coup de foudre, j'ai toujours aimé ce qu'elle faisait. [...] J'en ai au moins une dizaine, dont un dans ma clinique du Vieux-Montréal. [...] Dans ses peintures, il y a un mélange avec la beauté, la sexualité, qui vient beaucoup me rejoindre dans mon travail», a expliqué le DRéjean Thomas, un grand ami de Joanne Corneau.

«La meilleure façon d'évaluer l'amour des gens pour un artiste, c'est de voir les ventes, affirme pour sa part Louis Plamondon. La galerie fonctionne très, très bien. Les gens achètent parce qu'ils aiment. [...] C'était un peu une vedette, une artiste "pop". Les Québécois l'admiraient et ils étaient fiers de son succès à l'international, parce qu'elle nous représentait bien», a affirmé le directeur de la galerie AKA.

D'autres hommages

«Tu te menais fort, Jo. Tu te menais intense, toujours à embrasser à pleine bouche rouge vif tout ce qui t'allumait. Tu te menais vif, et coloré. Tu te menais à la joie, au plaisir et à l'effort. Tu te menais dur. Le monde était minuscule pour ton appétit, mais ton courage surpassait ta faim. Celles d'avant ne te doivent rien. Celles d'après se souviendront de toi. Adieu, petit corps énergique, belle tête de femme. Je t'aime...» - Fabienne Larouche, sur Facebook.

«C'était une battante qui n'a pas connu 5 % du succès d'estime qu'elle aurait mérité au Québec. Elle s'est battue toute sa vie, pour faire connaître son art, pour en vivre. Nous perdons une grande artiste.» - Daniel Lamarre, directeur général du Cirque du Soleil et ami de longue date de Corno.

__________________________________________________________________________

Regardez le documentaire Corno: http://ici.tou.tv/corno

Corno en quelques dates

1952: Naissance à Chicoutimi.

1992: Joanne Corneau, diplômée de l'Université du Québec à Montréal, s'établit à New York. Ses oeuvres sont plus tard exposées chez Steuben Glass Gallery sur Madison Avenue.

Début des années 2000: Elle est représentée par la galerie Opera, qui la propulse aux quatre coins du monde, de New York à Londres, Paris, Venise, Monaco, Hong Kong, Singapour, Séoul et Dubaï.

2008: La galerie AKA, qui la représente, ouvre ses portes à Montréal. Cette galerie est aujourd'hui située rue Saint-Paul.

2010: Corno expose à Hong Kong. Elle immortalise le chanteur rock Éric Lapointe pour son CD Le ciel de mes combats et publie aux Éditions La Presse son autobiographie.

2013: Le documentaire Corno, du réalisateur Guy Édoin, remporte le Prix du public au Festival international du film sur l'art (FIFA).

2015: Corno peint des torses d'hommes pour une soirée caritative «provocante et sexy», écrit-elle sur son site, au profit de la Fondation de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont.

Photo archives Le Quotidien, Michel Tremblay