Dans le cadre du 375e anniversaire de Montréal et des 150 bougies du Canada, le musée McCord rend hommage, jusqu'au 26 mars, au premier grand photographe canadien, William Notman (1826-1891), avec une première rétrospective qui révèle à quel point cet esthète et homme d'affaires montréalais aura été avant-gardiste.

L'exposition s'intitule Notman photographe visionnaire et c'est totalement à propos. Voici un homme, Écossais d'origine, qui avait très vite saisi le potentiel de la photographie, cette technique de création d'images qui fut inventée puis éventée par Louis Daguerre alors que William Notman avait 13 ans, en 1839.

«Pour William Notman, la photographie était un art au même titre que la peinture», explique Hélène Samson, commissaire de l'exposition et conservatrice des Archives Notman du musée McCord qui réunissent 450 000 photos dont 200 000 négatifs sur plaques de verre.

Notman a fondé un studio de photographie dès son arrivée au Canada en 1856. D'abord situé au 11, rue De Bleury, il sera en activité jusqu'en 1935, soit 44 ans après sa mort. Notman était un visionnaire, car il avait rapidement compris que la photographie n'était pas seulement un objet d'art et d'échange. Il l'a utilisée pour créer des oeuvres composites faites d'associations de photos. Avant même les futurs collages de l'art contemporain, il a fait de la photographie un outil de composition artistique.

Effets spéciaux

Bien avant l'émergence de l'informatique et du logiciel Photoshop, il retouchait ses photos, ajoutant des couleurs pour créer des effets spéciaux, ce qui était très original à l'époque. Notman usa aussi de la stéréographie pour montrer ses photos en 3D. Dès 1860! On peut d'ailleurs expérimenter son procédé dans une des salles, avec des lunettes 3D.

Prendre une photo, c'était aussi pour Notman mettre en scène, élaborer un décor, provoquer une atmosphère. Ses photos en studio avec l'impression d'une neige qui tombe étaient renommées. Il remplaçait la neige avec du gros sel qu'il plaçait sur les vêtements des personnes, explique Mme Samson. Et il saupoudrait ses négatifs pour créer l'illusion d'une poudrerie. Il allait jusqu'à insérer des éclats lumineux dans les yeux de ses sujets pour allumer leur regard. 

Audacieux, il le fut aussi comme homme d'affaires. Il employait 58 personnes à Montréal en 1876 et ouvrit 19 studios franchisés aux États-Unis et 7 au Canada au faîte de sa notoriété. Il avait également à coeur de préserver ses créations pour le futur. «Il a ainsi construit un système d'archivage avec numérotation des photos qui est toujours en usage au musée McCord», explique Hélène Samson.

Photo David Boily, La Presse

L'exposition Notman photographe visionnaire présente une série d'agrandissements de portraits en noir et blanc, un genre photographique avec lequel il a pu exprimer sa sensibilité artistique.

Images d'un pays en croissance

L'exposition est donc un survol de l'oeuvre de Notman et de ses studios. Elle présente 300 clichés et objets de la collection du musée, souvent des tirages d'époque et des négatifs sur verre. Beaucoup de photos de Montréal, mais aussi d'ailleurs au Canada où les photographies de Notman documentèrent les paysages d'un pays qui poursuivait sa colonisation et sa croissance.

Certaines de ses photos sont célèbres. Montréal sous la neige, le Vieux-Port, le nouveau pont Victoria en 1859, ses portraits de l'élite anglophone, d'Amérindiens ou de sportifs. Les photographes amateurs se réjouiront aussi du nombre d'artefacts reliés à leur passion: appareils photo, négatifs sur verre, planches de vues, portfolios d'époque, équipements divers.

Le musée a réalisé un parcours et une scénographie aérés, avec une enfilade de grandes reproductions, des fondus-enchaînés bien faits à l'entrée, des écrans interactifs, des cartels bien détaillés et des planches explicatives en français et en anglais pour connaître des détails sur certaines pièces exposées.

On a même droit au livre des salaires du studio de photographie dans lequel on découvre que les femmes gagnaient en moyenne 9,15 $ par quinzaine au lieu de 12,70 $ pour les hommes. Et sur la soixantaine d'employés, une seule femme était photographe... 

Le musée McCord a fait éditer, en complément de l'exposition, un ouvrage de 240 pages et 150 photos du studio Notman. Un livre de référence qui contient plusieurs photos que l'on ne retrouve pas dans l'exposition. Par exemple, une photo où plus de 160 marins aux visages noircis posent, sur un quai à Halifax en 1901, après avoir chargé 40 tonnes de charbon dans un bateau. Ou encore des photos de critiques d'art ou d'étudiants en médecine dans des poses qui rappellent deux tableaux de Rembrandt.

Pas étonnant. William Notman était un passionné d'art. Il a fait publier des livres de photographies d'oeuvres d'art, afin d'encourager le développement des beaux-arts à Montréal. D'ailleurs, c'est dans son studio, le 11 janvier 1860, que fut créé l'Art Association of Montreal... à l'origine du Musée des beaux-arts de Montréal. Quand on parle d'un précurseur...

___________________________________________________________________________

Notman photographe visionnaire, au musée McCord (690, rue Sherbrooke Ouest, Montréal), jusqu'au 26 mars.

Photo William Notman, fournie par le Musée McCord

Chutes de la Chaudière, Ottawa, Ontario, 1870, William Notman, négatif sur verre inversé, 20,3 cm x 25,4 cm.