En 1957, le Musée des beaux-arts du Canada a acquis 100 estampes réalisées par Pablo Picasso dans les années 30. Connues sous le nom de «suite Vollard», ces eaux-fortes et pointes sèches qui évoquent la nature civilisatrice de l'art sont exposées ensemble à Ottawa pour la première fois.

L'exposition Picasso: L'homme et la bête. Les estampes de la suite Vollard intéressera les amateurs d'art sur bien des aspects. Elle offre un angle du travail de Pablo Picasso moins connu, moins exposé et «diablement» fascinant. 

Les 100 eaux-fortes et pointes sèches de la suite Vollard ont appartenu à Ambroise Vollard (1866-1939), premier marchand de Picasso et éditeur de ses estampes. C'est d'ailleurs chez Vollard, en 1901, que le jeune peintre espagnol a exposé pour la première fois à Paris, où il venait de s'installer. Ambroise Vollard a révélé les peintres Van Gogh, Cézanne, Gauguin, Matisse et Picasso. Rien de moins. 

Le musée a acheté un jeu complet de la suite Vollard en 1957. Chaque estampe est signée et datée à la main par Picasso. La suite est un travail néoclassique présenté selon l'ordre de création des estampes, de 1930 à 1937. Le titre L'homme et la bête réfère au fait que Picasso évoque, dans ce travail de gravure, «sa bête intérieure», se muant dans ses estampes en une sorte de bête lubrique et violente.

Premières estampes

La première estampe de Picasso est une eau-forte du 13 septembre 1930, esquisse d'une femme assise, les jambes croisées. Simple, elle tranche avec celles qu'il réalisera par la suite. L'estampe du 17 octobre 1930 est déjà plus complexe. Les traits de gravure en taille douce sont plus nombreux et plus ombrés pour suggérer la forme du corps. Plus tard, il ajoutera un décor de verdure pour mettre en scène ses personnages ou intégrera son style pictural avec des femmes aux contours déformés et aux membres exagérément volumineux. 

Dans la deuxième salle, les estampes de 1931 révèlent un aquafortiste s'inspirant du passé, notamment de la mythologie grecque. Les femmes sont statufiées, les hommes, barbus et aux cheveux frisés. Son eau-forte 7177 évoque les Métamorphoses d'Ovide, quand Thésée tue le Minotaure, un personnage apparu dans l'oeuvre de Picasso à la fin des années 20. 

Conflit des sexes

Le Minotaure permet à Picasso d'explorer le conflit des sexes, d'exprimer ses sentiments personnels, ses pulsions, sa virilité. «Si on marquait sur une carte tous les chemins que j'ai parcourus et qu'on les reliait par une ligne, on dessinerait peut-être un Minotaure», avait-il dit. 

La troisième salle est consacrée au travail du sculpteur (mars 1933) et au thème de la mort (avril 1933). Les personnages rappellent, encore là, la Grèce antique.

Il y exprime la tendresse, l'éternité, le sexe, le repos, l'érotisme, l'homosexualité, la soumission, mais aussi le viol. 

La passion de Picasso pour le Minotaure et ses descriptions de la tauromachie sont de nouveau évoquées dans la quatrième salle avec un Thésée terrassant le Minotaure dans l'arène ou le Minotaure agonisant. L'artiste se représente avec une tête de taureau, coupe de vin à la main, allongé nu près d'une femme ou en pleine scène d'amour. 

Picasso en action

Dans la cinquième salle, un extrait du film Le mystère Picasso, tourné en 1956 par Henri-Georges Clouzot, explicite, sur grand écran, les techniques de dessin de Picasso. On suit son coup de crayon, sa logique de définition des vides, comment il traduit son idée de base. La salle expose les estampes de 1934 dans lesquelles il grave des figures de Rembrandt, son inspiration pour la lumière, des portraits de Vollard et d'autres représentations du Minotaure. On peut voir d'ailleurs la même scène du Minotaure reproduite avec ou sans aquatinte, au burin ou à l'aiguille et au grattoir.

L'exposition s'achève avec La Minotauromachie, la plus grande eau-forte de Picasso (57,4 cm x 78,1 cm). On y distingue ses personnages fétiches: le Minotaure, la jeune fille en robe, le cheval grimaçant, une figure ressemblant au Christ et une colombe. Une oeuvre magnifique dans laquelle la petite fille tient une bougie à la main, éclairant toute la scène plongée dans la pénombre. La bête intérieure qui côtoie l'espoir.

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Au Musée des beaux-arts du Canada, jusqu'au 5 septembre.