Marie-Michelle Deschamps a quitté le Québec en 2010 pour aller se forger la matière grise en Écosse, en France et en Suisse. De retour au bercail, l'artiste montréalaise expose le fruit de ses réflexions à la Fonderie Darling et à la galerie Battat Contemporary. Une présentation autour du langage habité.

Artiste conceptuelle, Marie-Michelle Deschamps produit des oeuvres guère faciles d'approche. Mais à y regarder de plus près, on finit par être imprégné par son langage. En bonne artiste de son temps, elle ne cherche pas à nous exposer sa vision du monde et de la vie. Avec ses lectures, ses expériences et ses questionnements en surimpression, elle essaie plutôt de transmettre un reflet de son propre univers.

À la Fonderie Darling, on trouve, dans un commissariat d'Anne-Marie St-Jean Aubre, un assortiment de créations provenant d'artistes et de designers qu'elle s'est plu à impliquer dans son aventure au pays du langage : du Canada, Michelle Lacombe, Rebecca La Marre, Bryan-K. Lamonde, Maude Léonard-Contant, Carl Trahan et Anne-Marie Proulx, de la Suisse, Nicole Bachmann, et de la Grande-Bretagne, Sarah Rose.

L'ANTI-ANGLAIS DE LOUIS WOLFSON

L'exposition L* découle d'un échange que l'artiste a régulièrement avec Louis Wolfson, un intellectuel schizophrène américain qui aimerait bien remplacer son parler anglais par un mélange de français, d'allemand, d'hébreu et de russe !

Elle a poursuivi cet échange en y associant les huit artistes susmentionnés. L'idée était de présenter la propre « voix » de chaque artiste afin d'aboutir à la naissance d'un langage en résonance. Le visiteur est un peu dérouté par la proposition de cette exposition créée autour du thème d'« habiter le langage ». Que veut-elle dire par là ? Quand Marie-Michelle Deschamps était en Écosse, elle parlait, lisait et même rêvait en anglais. « J'avais perdu ma langue, dit l'artiste de 35 ans. J'étais déracinée. »

Du coup, elle a écrit un texte, The Double Room, sorte de manifeste fondateur de son travail. Dans ce texte, elle se promène dans un hôtel. 

« Le langage, c'est comme séjourner dans un hôtel. C'est un endroit où l'on habite et qui n'est jamais à nous. En Écosse, parlant toujours anglais, c'est comme si je n'avais plus eu de maison, mais que j'habitais à l'hôtel. »

- Marie-Michelle Deschamps

L'écriture métaphorique, en 2012, de The Double Room se réfère aussi à la prose de Charles Baudelaire dans son poème La chambre double écrit en 1869. On y retrouve le même souci du langage incarné.

DES OEUVRES QUI PARLENT

Marie-Michelle Deschamps présente ainsi à la Fonderie une pièce sonore assez dense qui tourne en boucle toutes les 15 minutes. Elle l'a créée - lors d'une résidence artistique, au centre d'art Triangle, à Marseille - pour le festival d'Édimbourg et un événement à Zurich. Cette pièce est une traduction, en musique et en chanson, selon le système linguistique particulier de Louis Wolfson, d'une composition qu'elle avait écrite précédemment.

Les autres oeuvres exposées sont des dialogues. Nicole Bachmann a créé un tapis écru et noir en réponse à la pièce sonore. On trouve une oeuvre en acier émaillé que Marie-Michelle Deschamps traite comme du papier de consommation, un grand panneau de Carl Trahan avec la traduction du mot absorber (dans le sens : absorber une langue) en allemand et ses synonymes en français, ou encore une installation de plaques émaillées placées sur une grille, signée notamment Bryan-K. Lamonde.

MOINS D'OPACITÉ CHEZ BATTAT

Le langage de Marie-Michelle Deschamps s'approprie plus facilement chez Battat où son texte s'applique d'un point de vue architectural. Le visiteur peut d'ailleurs se procurer, à l'entrée de la galerie, un plan d'architecte d'une maison imaginaire avec la position des pièces, portes et fenêtres.

L'artiste a reproduit sur des pans de mur de la galerie les symboles que les architectes utilisent pour traduire la nature de matériaux de construction (granite, marbre, béton, etc.). Aux murs, elle a accroché de grands dessins flous à l'aquarelle qui font penser à des fenêtres. À moins que ce ne soit des cahiers pris dans des trombones géants qu'on aurait tordus comme le fer forgé ornementé... de fenêtres espagnoles.

Elle a aussi créé in situ trois cadres blancs avec une écriture de type « sgraffite » faite avec un épais enduit blanchâtre. Toujours l'idée du papier et du langage. Comme dans cette petite note que Marie-Michelle Deschamps a encadrée et placée sur le grand mur de la galerie. Elle a été écrite par le vendeur d'une boutique à l'époque où la « young girl » qu'elle était avait oublié au magasin un de ses cahiers d'étudiante en architecture.

La note est une sorte de portrait de l'artiste. Le vendeur la décrit « avec certitude »... d'où le titre de l'exposition, Évidemment. Un titre ironique puisqu'il n'y a aucune certitude chez cette artiste véritablement compagne du doute.

« Je me suis longtemps demandé si j'allais être artiste ou écrivaine, dit Marie-Michelle Deschamps. J'ai toujours aimé raconter et j'ai toujours aimé les échanges, mais dans mes pièces, il n'y a pas de narration. La narration est scénographique ou à côté, avec un livre. »

Il y a de l'humour, mais aussi la puissance d'une quête chez cette passionnée de métaphores qui adore se compliquer la vie et dire les choses autrement.

Marie-Michelle Deschamps est une artiste de l'autrement-dit, comme dirait le philosophe Boris Lobatchev. Une artiste que l'on a justement pas fini d'entendre... dire.

Évidemment/Obviously à la galerie Battat Contemporary (7245, rue Alexandra, local 100, Montréal) jusqu'au 30 avril.

L* à la Fonderie Darling (745, rue Ottawa, Montréal) jusqu'au 22 mai.