Éveiller la conscience de femmes qui ont eu des démêlés avec la justice et leur ouvrir un nouveau chemin: tel était l'objectif du projet d'art communautaire Décliner votre identité dont les oeuvres sont exposées à la galerie de l'UQO, à Gatineau. Un projet qui a mobilisé le milieu universitaire outaouais, a constaté La Presse cette semaine.

Sur la photo prise au bord du fleuve Saint-Laurent, à Verdun, Jill flotte dans l'eau, les bras en croix, vêtue d'une robe légère aux motifs bleutés. Son chien attend sur la berge verdoyante où un vieux livre de Shakespeare, entrouvert, repose sur une pierre. La scène est tranquille. L'eau a toujours été une source de confort pour Jill. C'est pourquoi elle a choisi cette mise en scène lorsqu'elle a embarqué dans le projet Décliner son identité.

«Je voulais une photo où l'on sent que je suis vraiment à l'aise, bien dans ma peau, bien dans ma vie », dit-elle, quelques minutes avant le vernissage de l'exposition, mercredi.

«L'eau, ça purifie, ça enlève toutes les mauvaises choses qui se sont passées.» - Jill, participante au Projet Ose

Conductrice d'un camion de livraison depuis un an et demi, Jill a eu des problèmes avec la justice dans le passé et une phase dépressive. Il y a deux ans, la femme de 34 ans s'est portée volontaire pour participer à un projet d'art communautaire conçu par le collectif Art Entr'Elles et l'organisme artistique Projet Ose. Elle a beaucoup appris de cette expérience qui associait 2 artistes professionnelles et 11 personnes au passé judiciaire.

«Ça m'a donné un point de vue différent, dit Jill. J'avais des préjugés par rapport aux femmes détenues. Travailler avec elles m'a aidée à voir ce que je voulais faire de ma vie, à regarder à l'intérieur de moi-même pour faire sortir la belle personne que j'avais éteinte. J'ai trouvé mon équilibre.»

Aider et sensibiliser

Permettre à des femmes incarcérées (ou qui ont eu affaire à la justice) de retrouver une vie équilibrée et de sortir de la marge illégale. Amener la société à ne pas rejuger ces femmes. Voici deux des missions que s'est données, depuis 2009, Art Entr'Elles.

Avec Projet Ose, le collectif a lancé Décliner son identité. Le titre évoque un commandement policier et judiciaire tout en invitant l'être égaré à se retrouver, à se redéfinir. Deux artistes, l'auteure Sarah Lalonde et la photographe Sandra Lachance, ont ainsi été choisies pour encadrer, de façon hebdomadaire, des activités artistiques avec 11 femmes qui - mise à part Jill qui n'a jamais fait de prison - se trouvaient en phase de réinsertion sociale à la maison de transition Thérèse-Casgrain de la Société Elizabeth-Fry.

«Il s'agit du sixième projet de ce type conçu par Art Entr'Elles», dit Anne-Céline Genevois, directrice de Projet Ose et actuellement responsable d'Art Entr'Elles.

«Les femmes se sont inscrites volontairement. Ce sont elles qui nous ont choisi.» - Anne-Céline Genevois, directrice de Projet Ose

Des multiples rencontres a découlé une exposition d'abord présentée à Montréal l'automne dernier et en vedette jusqu'au 23 avril dans la toute jeune Galerie de l'UQO, créée en septembre par Marie-Hélène Leblanc à l'Université du Québec en Outaouais.

Photos et poésies sonores

Dans une première salle, des affiches réalisées par des étudiants en travail social et en muséologie de l'UQO exposent les vertus de l'art et notamment de l'art communautaire. Dans la seconde ont été accrochées au mur 11 photos de grand format chacune accompagnée d'un message sonore enregistré par chaque femme.

Les 11 photographies comme les poésies sonores dévoilent la sensibilité et une partie de l'intimité de chaque femme. On ressent l'histoire de la personne autant dans cette photo qu'elle a voulu créer que dans ses mots qu'elle a choisi de dire.

Les photos ont été prises par Sandra Lachance, qui a exercé son talent auprès de prisonniers en France. «Avec ces 11 femmes, on a travaillé en atelier, sur la position du corps, la projection d'une émotion et le cadrage, dit-elle. Ce sont elles qui ont décidé de la démarche de la photographie.

De son côté, l'auteure jeunesse Sarah Lalonde a aidé à la conception des poésies des participantes. «On a fait des exercices pour les familiariser à l'écriture, dit-elle. Je les ai accompagnées sans leur imposer quoi que ce soit. L'écriture est très importante pour se révéler.»

Sarah Lalonde a adoré son expérience. «Je pense avoir donné autant que j'ai reçu», dit-elle. «On est tous transformés par une expérience de ce type, ajoute Anne-Céline Genevois. C'est un espace de rencontres privilégiées avec ces femmes. Ça fait de nous des gens plus tolérants, plus ouverts. Et ça va changer l'individualité de ces femmes, le développement de leurs compétences et leur confiance en elles.»

Engouement à Gatineau

Décliner votre identité est devenue une véritable aventure d'art communautaire, car au-delà du projet initial, l'expo a suscité un réel engouement à l'Université du Québec en Outaouais. Présentée l'automne dernier à la Maison de la culture de Notre-Dame-de-Grâce, elle a été bonifiée à l'UQO, le milieu universitaire l'ayant pris à bras-le-corps.

L'étudiante Marie-Eve Fiset-Tremblay avait travaillé avec ces 11 femmes dans le cadre de sa maîtrise. Elle a convaincu la galerie de présenter l'exposition et d'y associer des étudiants.

«Des étudiants de 1er et 2e cycle ont en effet travaillé à ce projet qui a impliqué le département du travail social et l'École multidisciplinaire de l'image (EMI), dit le professeur de muséologie à l'UQO, Éric Langlois. Un des étudiants, Ivan Jozepović, a ainsi créé la scénographie de l'expo et une borne interactive. On est en plein dans le domaine de la muséologie sociale, soit une exposition créée pour le bien de la population.»

Professeure au département de travail social de l'UQO, Kheira Belhadj-Ziane souligne que l'art peut être un levier d'intervention sociale. Il remet sur les rails des personnes qui, pour une raison ou pour une autre, se sont dangereusement écartées. Mais il est aussi pour le public un motif de réflexion, d'apaisement, de compréhension du monde, de tolérance, voire d'amour.

«L'art communautaire est un outil de transformation sociale, de critique sociale et de justice sociale», dit Kheira Belhadj-Ziane.

Décliner votre identité, à la Galerie de l'UQO (101, rue Saint-Jean-Bosco, Gatineau) jusqu'au 23 avril.

La prochaine étape: un documentaire

Deuxième phase de l'exposition Décliner votre identité, un film sur le sujet intitulé Double peine sera présenté aux Rencontres internationales du film documentaire de Montréal, l'automne prochain. Pour ce film réalisé par Cathy Cimon, Geneviève Tardif et Danielle Gratton, la caméra a été tournée vers les citoyens pour connaître leurs perceptions des femmes dites «judiciarisées».

PHOTO COLLECTIF ART ENTR'ELLES + JILL S.

L'eau a toujours été une source de confort pour Jill. C'est pourquoi, elle a choisi cette mise en scène lorsqu'elle a embarqué dans le projet Décliner son identité, une expérience qui lui a permis de trouver un équilibre.