La patine du temps, sur les hauts murs bordant le Tibre à Rome, sert de support pour une oeuvre monumentale, et éphémère, de l'artiste sud-africain William Kentridge, qui se veut une histoire de la ville éternelle.

Sur plus d'un demi-kilomètre, et dix mètres de haut, cet artiste a «dessiné» d'immenses fresques grâce à la technique du «stencil». Celle-ci a consisté dans son cas à pulvériser de l'eau à forte pression sur des pochoirs. Une fois le mur ainsi «nettoyé», apparaissent autant de personnages sortis de l'antiquité romaine, de la Renaissance ou de l'époque moderne.

Intitulée Triomphes et lamentations, cette installation ne durera pas plus de cinq ans, a expliqué l'artiste. La pollution, la pluie et les crues du fleuve auront raison des représentations de Benito Mussolini, de Marcello Mastroianni ou des galères romaines, qui témoignent de la crise actuelle des migrants.

«Projet éphémère»

«C'est un projet éphémère parce que c'est sa nature», a expliqué William Kentridge dans un entretien avec l'AFP. «Au début le mur est noir, on le nettoie autour des pochoirs et ce qui reste est un dessin sur le mur», explique-t-il tout en marchant le long du fleuve romain.

Exemple vivant du passage du temps et de la pollution, cette oeuvre est aussi un commentaire sur la mémoire, à la fois individuelle et collective, selon M. Kentridge.

«Il y a des choses auxquelles on devrait s'accrocher et qui disparaissent, tout comme il y a des moments de l'histoire dont les sociétés devraient se souvenir et qui pourtant s'évanouissent», raconte-t-il.

«L'histoire a son mélange de choses héroïques ou honteuses, de gloire et de honte, c'est de tout cela dont il s'agit ici», ajoute M. Kentridge.

Le mur compte plusieurs parties, dont certaines consacrées à la préhistoire ou à la mythologie, d'autres à des personnages célèbres et plus contemporains de l'histoire de Rome, comme Pier Paolo Pasolini ou Anita Ekberg, symbole de la Dolce vita, chef d'oeuvre du cinéaste Federico Fellini.

Une image de Cicéron, grand juriste de la République romaine, côtoie celle de Mussolini, pour revenir ensuite plus loin sur la fresque mais éclatée en mille morceaux.

De même, de grandes figures militaires de l'époque romaine comme l'empereur Marc Aurèle sont toutes représentées de cette manière, craquelées ou éparpillées, prélude à l'effondrement du grand empire romain.

L'artiste sud-africain a précisé avoir travaillé avec des chercheurs et historiens pour identifier les moments historiques qu'il voulait capter dans ses dessins. Quelque 500 ont été sélectionnés et 50 retenus.

Ce projet a été cofinancé par une association qui travaille à la rénovation des bords du fleuve, laissés quasi à l'abandon.

William Kentridge s'est intéressé à ce lieu il y a 15 ans, a terminé ses premiers dessins en 2011 mais a dû attendre quatre ans avant de recevoir l'autorisation de la bureaucratie romaine. «Les dessins c'était du travail, mais la partie vraiment la plus difficile, ça a été d'obtenir les autorisations», raconte-t-il.

Cette installation, qui sera officiellement inaugurée le 21 avril, est située sur la rive droite du Tibre dans le quartier de Trastevere, non loin de la basilique Saint-Pierre.