Ironique, satirique: c'est une dimension méconnue de Paul Klee que propose à Paris une exposition du Centre Pompidou consacrée à cet artiste allemand prolifique, ouvert aux avant-gardes, du constructivisme à Picasso, mais farouchement déterminé à «être son propre style».

Première rétrospective importante en France depuis 1969, elle réunit depuis mercredi et jusqu'au 1er août 230 oeuvres du peintre choisies par la commissaire Angela Lampe et provenant en majorité du Zentrum Paul Klee de Berne et de grandes collections internationales.

«L'art de Paul Klee nous semble familier», écrit le directeur du Musée d'art moderne, Bernard Blistène, en préambule du catalogue. «Qui de nous en effet n'a reconnu dans l'artiste et ses oeuvres (...) une image qui lui semble proche voire intime?»

C'est à travers une caractéristique moins évidente qu'Angela Lampe propose de relire le travail de Klee, exceptionnellement abondant (plus de 10 000 oeuvres): «l'ironie qui irrigue toute son oeuvre».

«Je voulais avoir un autre point de vue, proposer une nouvelle vision», explique Angela Lampe, qui est allemande comme Klee. «Même s'il ne faut pas en faire un leitmotiv, c'est quelque chose qui rayonne et qui permet de relire son travail», souligne la commissaire.

Elle établit un lien avec l'ironie romantique du philosophe Friedrich Schlegel, auteur peu connu des Français. Heureusement, il y a Voltaire, que Klee présentait comme son père et dont il a illustré Candide.

Encore étudiant, Paul Klee avait déjà l'esprit railleur. En témoignent de rares et fragiles peintures sur verre réalisées en 1905 et prêtées pour la première fois par le Zentrum P. K.

«Une faille dans le système»

Cette «prise de distance», il l'exerce aussi envers lui-même, à travers ses autoportraits ou une série de dessins où il emprunte des postures d'artistes. Klee réalise des ébauches de sculptures inspirées de Daumier, dont on retrouve l'influence dans le petit théâtre de marionnettes fabriqué plus tard pour ses enfants.

Il joue aussi avec le titre de ses oeuvres, en pratiquant le double sens, ou avec les oeuvres elles-mêmes, n'hésitant pas à les couper en deux pour en changer radicalement la signification.

Le titre allemand de Présentation du miracle, l'une de ses oeuvres iconiques, peut aussi signifier raillerie. Cette gouache est réunie pour la première fois avec Angelus Novus, les deux tableaux qu'emporta dans son exil le philosophe Walter Benjamin.

L'exposition suit les relations de Klee avec les grands courants artistiques de son temps tels le cubisme ou le constructivisme. Le peintre va ainsi s'essayer à une stricte géométrie, mais malgré de belles réussites, «elle ne correspond pas à son tempérament» et «il refuse les couleurs primaires», note Angela Lampe.

Pour lui, l'art doit être «une faille dans le système». Klee pose un principe, puis il le transgresse, soulignait le compositeur Pierre Boulez, grand admirateur du peintre, auquel il a consacré un livre (Le pays fertile).

Quand il enseignait, il lui est arrivé de recommander une technique avant d'ajouter que lui-même ne l'employait pas.

À partir de 1930, Paul Klee connaît une période archaïsante, tournée vers les grandes civilisations antiques et marquée par la recherche de textures, l'influence de la mosaïque et des séries sur les signes et autres pictogrammes. Égyptienne paraît ainsi à peine sortie de terre et Enlacé ressemble à une oeuvre aborigène.

Klee est aussi marqué par Picasso, dont une grande exposition est présentée en 1932 à Zürich. Le maître espagnol est dans sa période biomorphe, organique qui va influencer le travail de Klee; Les deux hommes se rencontrent en 1933, puis en 1937 à Berne, mais le courant ne passe pas.

Exilé en Suisse depuis l'arrivée d'Hitler au pouvoir, gravement malade, Klee réalise la dernière année de sa vie plus de 1200 oeuvres, dont l'exposition propose une sélection saisissante. Omniprésence du signe, textures recherchées, mais l'ironie est toujours là avec Ton aïeul? représentant un être simiesque et souriant.