Sculpteur du mouvement, Jean-Pierre Morin fait l'objet d'une exposition d'envergure au centre d'art 1700 La Poste, à Montréal, jusqu'au 19 juin, avec des sculptures conçues pour l'occasion et d'autres créées depuis 10 ans. L'hommage est appuyé par une vidéo de la réalisatrice Suzanne Guy qui montre l'artiste de Québec créant dans son atelier.

«Tu ne vois pas le vent. Pourtant il bat les eaux ; il disperse la nue, engloutit les vaisseaux», lit-on dans De la nature des choses du poète grec Lucrèce. Avec les sculptures de Jean-Pierre Morin, on ne voit pas le vent disperser les nuages, mais on le sent. Depuis toujours fasciné par le mouvement, cet artiste du dynamisme rend compte, dans une même oeuvre, de la légèreté comme de la pesanteur des choses.

Jean-Pierre Morin est réputé pour ses sculptures monumentales d'art public. Il en a créé une trentaine depuis 25 ans au Québec. À Montréal, Espace fractal est installé à l'entrée principale de la Grande Bibliothèque et Temps d'arrêt surprend le passant au coeur du parc Molson, près du cinéma Beaubien. À Québec, Trombe accueille l'amateur d'art au Musée national des beaux-arts du Québec, Éclosion fait de même avec les visiteurs d'ExpoCité et Convergence s'épanouit sur la promenade Samuel-de-Champlain, au bord du fleuve.

Trombes marines

À l'intérieur du 1700 La Poste, on est accueilli par l'installation Sortir du rang et une impression de mise en scène théâtrale. Les huit pièces sont comme un souffle rafraîchissant la grande salle blanche. Un vent ayant du corps. Des trombes d'aluminium chromé, des masses tourbillonnant au-dessus des mers, des sculptures élégantes se détachant du sol pour monter au ciel.

L'idée de ces formes élancées vient de la cheminée de vapeur de l'ex-usine Daishowa, alors située près de l'estuaire de la rivière Saint-Charles, à Québec. «Elles sont aussi inspirées par mon désir de faire des sculptures immatérielles et éthérées», ajoute l'artiste de Québec.

Dans plusieurs de ses oeuvres creusées - d'abord taillées dans le bois -, l'acier a été troué en surface, mais ces trous ne sont jamais symétriques ou identiques.

«Je ne décide pas dans quelles directions vont chacune des pièces. Ces trous ne sont jamais carrés, parallèles ou perpendiculaires et toujours en désordre.»

Désordre et hasard peut-être, mais l'équilibre des masses requiert un souci scientifique. Sa série de sculptures 22,5º a, par exemple, été conçue avec une régularité établie par ordinateur afin que les plaques d'aluminium qui les constituent ne soient jamais alignées. Le décalage obtenu confère une esthétique chaotique particulière. Les colonnes sont hétéroclites et capricieuses, mais pondérées et harmonieuses.

La nécessité graphique

On connaît moins bien les dessins de Jean-Pierre Morin. La fondatrice du 1700 La Poste, Isabelle de Mévius, s'est intéressée à sa sculpture après avoir acheté ses dessins. «Ses intuitions font la beauté de son travail», dit-elle. En effet, les vides des dessins de l'artiste deviennent les espaces libres de ses sculptures, des lieux de respiration et d'évasion.

Ses lignes de contour ne cessent de dire le vent, l'eau ou le feu, de suggérer l'air et le souffle des éléments précaires. Comme avec La pierre et le feu (1985), cette sculpture installée près du musée de Lachine et dont les arêtes pointues rappellent les coups de crayon affirmés sans hésitation.

Dans la salle inférieure du centre d'art est projeté le film Jean-Pierre Morin, le sculpteur de lumière que la documentariste Suzanne Guy a réalisé sur Jean-Pierre Morin à la demande de Mme de Mévius.

«L'oeuvre de Suzanne Guy met en contexte la démarche artistique de Jean-Pierre Morin et permet avec facilité de comprendre ce qui le rend unique», dit Isabelle de Mévius.

Dans ce film de 28 minutes, on voit effectivement l'artiste créer les dessins préliminaires à ses sculptures. Leurs espaces non remplis se définissent grâce aux corrections qu'il pratique avec une gomme à effacer. Car Jean-Pierre Morin ne dessine pas ses sculptures. Elles apparaissent au hasard de ce qu'il a effacé. «Dans leur complexité, ses oeuvres ont une certaine simplicité», dit d'ailleurs une amatrice d'art dans le film.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Dans plusieurs des oeuvres creusées de Jean-Pierre Morin - d'abord taillées dans le bois - l'acier a été troué en surface mais ces trous ne sont jamais symétriques ou identiques.

Oeuvre d'art publique

Parallèlement à l'exposition Entre ciel et terre, Isabelle de Mévius a édité un catalogue de luxe éponyme et acquis la sculpture de bronze Entre ciel et terre, une petite trombe mince et effilée de Jean-Pierre Morin. Elle l'a fait installer devant le centre d'art 1700 La Poste, au bord de la rue Notre-Dame Ouest.

«Ma volonté avec l'installation de cette oeuvre au coeur du quartier de Griffintown est de promouvoir les efforts des artistes à rendre notre vie quotidienne plus vivante afin que les citoyens de la ville de Montréal puissent habiter la cité avec autant d'attachement» a dit Mme de Mévius, lors de l'installation de l'oeuvre de 4 m de hauteur.

Jean-Pierre Morin a été très ému par l'hommage que lui rend le 1700 La Poste. «C'est une chance incroyable d'avoir l'opportunité d'exposer ici, a-t-il dit à La Presse. À cause notamment de l'espace où il n'y a pas de cloison.»

Espace libre, ouvert aux tourbillons, au jeu et au plaisir. Idéal pour un Jean-Pierre Morin qui aime jouer, déjouer, confondre, créer avec spontanéité et acharnement, galvanisé par la passion et sa relation au monde.

Entre ciel et terre, de Jean-Pierre Morin, au centre d'art 1700 La Poste (1700 rue Notre-Dame Ouest, Montréal), jusqu'au 19 juin.

Jean-Pierre Morin en quelques dates

1951: Naissance à Saint-Anselme

1971: Cours de sculpture à Saint-Jean-Port-Joli

1978: Baccalauréat en arts visuels à Laval

1984: Études de maîtrise en arts plastiques à Concordia 

A exposé principalement au Canada et aux États-Unis

Collectionné par la Banque Nationale, Loto-Québec, Cirque du Soleil, MACM, MNBAQ, Musée de Lachine, Musée d'art de Joliette, etc.

PHOTO ANDRÉ CORNELLIER, FOURNIE PAR LE 1700 LA POSTE

Réalisée à l'Atelier de bronze d'Inverness, l'oeuvre Entre ciel et terre, de Jean-Pierre Morin, a été acquise par la mécène Isabelle de Mévius et installée, le 17 mars dernier, devant son centre d'art 1700 La Poste, situé au 1700, rue Notre-Dame Ouest, à Montréal.