«Nous avons choisi d'investir notre cadeau de mariage dans une oeuvre d'art, plutôt qu'un voyage ou un vaisselier, nous voulions quelque chose qui change», lance Antoine, mais «nous avons découvert qu'en plus c'était très rémunérateur».

Deux ans plus tard, sa femme et lui possèdent déjà trois oeuvres et la valeur de leur patrimoine a doublé.

Car en plein boom du marché de l'art investir ses économies dans une toile ou une sculpture, plutôt que dans des actions, est un choix qui peut se révéler porteur... mais pas exempt de risques.

«Depuis le début des années 2000, le marché de l'art contemporain enregistre annuellement une croissance à deux chiffres», une performance supérieure aux actifs traditionnels, explique à l'AFP Arnaud Dubois, responsable du service art moderne et contemporain à l'Institut du patrimoine qui a accompagné le jeune couple dans ses acquisitions.

Sans parler des prix «stratosphériques» des têtes d'affiche du marché: «un triptyque de Bacon à 142,4 millions de dollars en 2013, une sculpture de Giacometti à 140 millions en 2015, un Picasso à 179,3 millions de dollars en mai dernier», égrène-t-il en jugeant «fort probable» une enchère au-dessus du milliard «dans les décennies à venir.»

De quoi mettre des étoiles dans les yeux de tous les gérants de fonds classiques.

«Dans une période de taux très bas, les produits d'investissement classique, comme les plans d'épargne ou les contrats d'assurance-vie en euro ne présentent pas des rendements très attractifs pour l'épargnant», résume Nathalie Lemaire, directrice des relations épargnants de l'Autorité des marchés financiers (AMF) dont le rôle de protection de l'épargne dépasse les frontières traditionnelles de la Bourse.

«En plus il y a un côté valorisant», analyse également Philippe Vayssettes, président du directoire de Neuflize OBC.

«La dimension émotionnelle et affective vient s'ajouter», confirme Antoine, 32 ans, cadre supérieur dans le domaine culturel, qui parle sous couvert d'anonymat.

Et de raconter ses premiers pas dans la foulée de son mariage en 2012: «après avoir cerné nos caractères et notre profil d'acheteur, Arnaud Dubois nous a proposé quatre ou cinq artistes qui correspondaient à nos goûts et à notre niveau de prise de risque. Notre première oeuvre a ensuite été acquise aux enchères à New York en juin 2013 par son intermédiaire à un très bon tarif».

Confortés par ce début réussi et «bien épaulés, nous avons décidé de continuer de façon plus professionnelle, comme un investissement financier», relate-t-il avec enthousiasme.

Périodes agitées propices à l'escroqueriePour Philippe Vayssettes, «les prix sont aussi tirés à la hausse parce que de plus en plus de gens estiment que le risque de perdre de l'argent avec sa collection d'art n'est pas beaucoup plus élevé qu'avec la Bourse».

Dans un contexte général d'incertitudes après des années de crise, «un certain nombre de personnes cherchent à trouver des solutions alternatives ou à être rassurées par un supposé caractère concret du placement», renchérit Mme Lemaire, mais «comme toutes les périodes incertaines, c'est aussi propice au développement de l'escroquerie...»

Pour un particulier, outre la perspective d'une forte plus-value, la fiscalité très attractive en France en matière d'art, constitue un moteur puissant.

Toutes les transactions inférieures à 5000 euros sont non imposables. Au-delà, l'acheteur a le choix entre deux régimes.

L'un est une taxe forfaitaire de 6,5% du montant de l'objet vendu, quelle que soit la valeur de l'oeuvre ou sa durée de détention.

L'autre est le régime général sur les valeurs mobilières qui permet un abattement de détention de 5% par an au-delà de la 2e année, ce qui «permet une exonération totale de plus-value au terme de 22 ans de détention» et avant cela «la plus-value est imposée» à 34,5% au total, détaille Sophie Breuil, directrice du Conseil de Neuflize OBC.

Les oeuvres d'art sont aussi exonérées d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

Mais acheter une oeuvre art dans l'unique but de faire baisser son ISF est «une aberration économique», relève M. Dubois.

Au-delà des chiffres qui donnent le tournis, l'acquéreur doit avant tout se faire conseiller, martèlent les experts.

Car les écueils sont légion, à commencer par l'étroitesse du marché.

«En 2013, le montant total des ventes publiques a atteint 25 milliards d'euros» soit «moins de deux semaines d'échanges à la Bourse de Paris», note Mme Breuil.

Qui dit faible nombre de transactions dit montagnes russes potentielles pour les prix. Et ce marché «a aussi connu sa crise en 2008», retrace Xavier Richard, spécialiste du secteur chez HSBC, «il ne faut donc pas avoir besoin de liquidités» dans ces cas-là, d'autant que les «moins-values, elles, ne sont pas déductibles des impôts...»

Autant d'éléments qui éliminent de fait les investisseurs les moins aisés. Même si «on peut commencer par une lithographie ou photographie à partir de 500 ou 1.000 euros», avance-t-il.

Attention faussaire

Les experts recommandent du coup aux personnes dont les moyens sont limités de se faire avant tout plaisir, sans chercher à spéculer.

Autre problème crucial: l'authenticité. Car les faussaires sévissent sur ce marché.

«Il faut aussi faire très attention, car cela peut être un miroir aux alouettes», insiste Sophie Breuil. Les acheteurs «recherchent des biens tangibles» et «comme ils détiennent l'objet, peuvent le stocker, le toucher et en profiter, c'est plus rassurant. Néanmoins la valeur de l'objet peut quand même fluctuer grandement».

Comprendre: ce n'est pas parce que le tableau est dans votre salon, qu'il vaut quelque chose.

«C'est très difficile d'avoir des points de repères sur ce type de marché», sans parler «des effets de mode qui vont jouer énormément sur les prix», développe Mme Lemaire, régulièrement confrontée à la détresse d'épargnants floués: «La façon dont des escrocs vont exploiter la faiblesse de certaines personnes est absolument terrible».

«Si on investit par pur opportunisme et que l'on vous fait miroiter des perspectives de rendements élevés, c'est là où le danger commence...», avertit-elle en évoquant une «recrudescence» de ce type de placements, «pas quantifiable», car le secteur n'est pas régulé mais «perceptible» grâce à la veille de l'AMF sur les publicités et aux plaintes via son service «Épargne Info Service».

Ses préconisations ? Toujours se demander: «Est-ce que j'ai bien toutes les références pour juger du prix auquel j'achète et ensuite comment vais-je revendre et à quel prix?».

L'AMF joue surtout un rôle de détection des fraudes et transmet ensuite le dossier à la DGCCRF (Direction de répression des fraudes) ou enquête elle-même suivant la nature du délit.

Le cas de Marbel Art Invest a été emblématique à ce titre. En avril 2014, la commission des sanctions de l'AMF avait infligé pour près de 4 millions d'euros d'amendes à une vingtaine de personnes en France et en Belgique impliquées dans les agissements de cette société. Celle-ci se présentait comme un courtier en art et faisait miroiter des plus-values alléchantes générées par l'achat et la revente d'oeuvres d'art. En fait, une vaste escroquerie.

«Acheter un tableau n'est pas dangereux», souligne néanmoins Mme Lemaire. Il suffit de le faire «en toute connaissance de cause, par choix, par goût et sans attendre des choses que le tableau n'est pas en mesure d'apporter».