Quelles sont les expositions à voir? Nos critiques en arts visuels proposent une tournée montréalaise de galeries et de centres d'artistes. À vos cimaises!

Céramique gaie et irrévérence

Le Musée McCord présente jusqu'au 16 août une exposition à la fois originale, coquine et irrévérencieuse. Camp Fires: le baroque queer de Léopold Foulem, Paul Mathieu et Richard Milette est l'occasion de découvrir les oeuvres de trois céramistes montréalais «d'art gai» qui ne manquent ni d'idées ni d'humour...

Acadien d'origine, Léopold L. Foulem est un céramiste de renom qui aura marqué la scène montréalaise. Fêtant ses 70 ans cette année, il a enseigné la céramique, ce premier «art du feu», aux cégeps du Vieux-Montréal et de Saint-Laurent de 1970 à 2013. Avec tant de passion qu'il a suscité la vocation de la céramique chez deux de ses étudiants, Paul Mathieu et Richard Milette. Ce dernier a même épousé son ex-professeur!

Après avoir présenté ses oeuvres lors d'une tournée au Canada en 2008, Léopold Foulem s'est vu offrir une exposition en compagnie de ses deux disciples au Gardiner Museum de Toronto, qui a décidé de la mettre en circulation. Après la Ville Reine, le Musée McCord accueille donc les céramiques des trois artistes avant qu'elles ne partent à l'automne au Bellevue Arts Museum, dans l'État de Washington.

Alors, que trouve-t-on dans cette exposition qualifiée de «baroque queer»? Rien pour fouetter un chat puritain, même si le sadomasochisme a influencé Richard Milette dans plusieurs de ses réalisations. Disons que le trio a une nette prédilection pour la dérision, l'humour et le pastiche. Les oeuvres ont souvent un lien avec l'anatomie masculine, le sexe ou l'iconographie gaie, sans que ce soit choquant pour autant. Espérons que le visiteur plus conservateur finira par en rire.

Clins d'oeil à la religion

Au début de l'expo, on est mis dans le bain - si l'on peut dire - avec deux céramiques blanches montrant deux couples masculins. Dans l'un des couples, un homme nu est en érection tandis que son partenaire semble habillé... en prêtre. Dans la série des allusions à la religion, on retiendra aussi Banane et crucifix, de Léopold Foulem, où le Christ est remplacé sur la croix par une banane épluchée de telle sorte qu'elle laisse apercevoir le fruit mûr. Mentionnons aussi son Prêtre en soutane noire avec garçon sur monture, 2012, où le jeune n'est vêtu que d'un support athlétique (jockstrap).

Plus loin, on trouve les plus anciennes oeuvres de Léopold Foulem, notamment des selles de bicyclette qui se prolongent par l'organe masculin dans toute sa puissance...

Mais toutes les oeuvres ne sont pas libidineuses. Richard Milette présente une très belle série de vases à trois anses de style grec (hydries) intitulés Jealousy, Seduction et Sacrifice. Des objets peints de très belle facture.

Un peu plus loin, une autre série d'hydries de Milette, faussement cassées, intitulées Pédé, Fuck, Love, Hate, Homo et Scum. Cette série est inspirée de l'artiste gai américain Robert Indiana à qui l'on doit la célèbre oeuvre LOVE, 1964 où le mot en couleur rouge est écrit sur deux lignes.

Quant à Paul Mathieu, établi aujourd'hui à Vancouver, les oeuvres qu'il a créées notamment à partir de moules en plâtre achetés en Chine sont effectivement très baroques. La série s'appelle Garçons mignons. Chaque porcelaine comprend la tête inversée du jeune guerrier grec Doryphore sculpté par Polyclète vers 440 avant J.-C. Sur le derrière de la tête, le céramiste a placé les images de héros de la culture gaie tels que Marcel Proust ou Arthur Rimbaud. Chaque tête est posée sur le masque décoré d'un homme barbu.

Ouvert sur la communauté gaie

L'exposition comprend aussi trois films documentaires sur les artistes, chacun évoquant son travail dans son atelier. Les céramiques présentées dans cette exposition sont non utilitaires même si elles ont parfois la forme de récipients. Comme l'explique Paul Mathieu, leur travail de céramique est une «investigation de la surface comme espace pictural» dans le but de traduire un langage culturel, celui d'une certaine approche de l'identité gaie.

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Au Musée McCord (690, rue Sherbrooke Ouest) jusqu'au 16 août.

Pulsion papier

La peintre Lisa Tognon n'avait pas exposé dans la région montréalaise depuis quelques années. Elle nous revient chez Éric Devlin avec une passion pour le papier... japonais!

Lisa Tognon fait danser l'encre sur du papier Kozo, fait d'une fibre de mûrier que les artistes du pays du Soleil-Levant n'utilisent pratiquement plus. Son expo Au midi de la page décrit la passion qu'elle vit dans sa création, une pulsion qui la porte dans la pensée et le geste.

«C'est une fibre extraordinaire, dit-elle. Travailler avec ce papier m'apporte un très grand plaisir. Les maisons japonaises qui le fabriquent ont réalisé l'importance qu'avait leur papier en voyant des oeuvres réalisées ici. Je ressens une plus grande satisfaction dans mon travail en ce moment que si j'avais continué avec la gravure que je maîtrisais et que j'aurais pu arriver à surmaîtriser.»

On sent quelque chose de hautement organique unissant l'artiste et ses outils, ses matériaux. Ce fabuleux papier, qui semble tissé, garde l'encre en place ou la fait fuir selon l'endroit où elle est déposée. 

«Pour faire un geste sur ce papier, il faut travailler avec le corps et l'énergie. Ce papier qui a ses propres règles me permet de travailler des formes, des traits, mais ce n'est pas de la calligraphie.»

Artiste de l'abstraction, elle semble se rapprocher pourtant d'images plus facilement identifiables: un autel, un globe, un nid, une montgolfière. On peut y lire aussi l'influence de certains travaux de Pierre Soulages ou d'Antoni Tàpies. 

Explorer les formes

«Je pense qu'il y a un désir de fusion dans ce que je fais en ce moment, mais ce sont surtout les formes qui m'intéressent. C'est abstrait et concret. Tout n'a pas été dit dans cette sphère de création là. Il y a un côté spirituel dans cette façon de travailler à la fois l'intérieur et l'extérieur.» 

Elle procède donc davantage dans la lenteur, en multipliant les allers-retours avec le papier, les essais-erreurs. Et même l'endroit et l'envers de ce matériau qui laisse passer la lumière.

«On néglige la matière, de nos jours, souligne-t-elle. On néglige des enseignements profonds et on découpe tout en petits morceaux pour mieux se comprendre, mais il y a beaucoup plus de liens qu'on pense entre nous, la matière et la planète sur laquelle on vit.»

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À la galerie Éric Devlin (550, avenue Beaumont), jusqu'au 2 mai.

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Lisa Tognon

Les autres expos à voir

CHIH-CHIEN WANG

La résidence de Chih-Chien Wang à la Fonderie Darling aura été des plus prolifiques. Voici une troisième expo en quelques mois dans un troisième espace. Cette fois, l'artiste québécois propose une installation vidéo de 90 minutes, The Act of Forgetting, montrant des créateurs de plusieurs disciplines qui se confient à la caméra en parlant, performant, chantant, jouant et improvisant.

À la Fonderie Darling (745, rue Ottawa) jusqu'au 24 mai.

JENNIFER LEFORT

La galeriste d'Ottawa Patrick Mikhail a ouvert une nouvelle galerie à Montréal. Après une expo de groupe, voici qu'il présente les travaux récents de Jennifer Lefort réunis sous le titre Dire oui. L'artiste de Gatineau établit ici un dialogue entre sa pratique de la sculpture et celle de la peinture. Dans certains tableaux, les courbes très arrondies côtoient les formes géométriques et font exploser les couleurs primaires.

À la galerie Patrick Mikhail (4445, rue Saint-Antoine Ouest) jusqu'au 16 mai.

ÉLISE LAFONTAINE

Chez la relève, le travail d'Élise Lafontaine fait preuve de constance et de rigueur. Elle nous expose, de façon très ludique, des objets déformés, manipulés qui, étrangement, semblent prendre vie. Un travail qui fait quelque peu penser à l'ancienne manière d'Annie Hémond Hotte. La jeune artiste participera à la résidence d'artiste LIA-Leipzig International de septembre à novembre 2015. 

À la galerie Luz (372, rue Sainte-Catherine Ouest, suite 418) jusqu'au 2 mai.