Avec ses oeuvres drôles et graves à la fois, notamment ses faux sacs à main Chanel, Prada ou Louis Vuitton, Chloe Wise explore nos désirs sexuels ou alimentaires et notre propension à vouloir posséder. À 24 ans, la Montréalaise suscite le buzz à New York. La galerie Division accueille sa première expo solo jusqu'au 2 mai.

Voilà une artiste de la génération internet promise à un bel avenir. Douée en peinture, en sculpture et en vidéo, fort habile pour faire sa promotion dans les réseaux sociaux, styliste, ex-mannequin - comme sa mère dans les années 70 -, Chloe Wise a habité Toronto après avoir quitté les bords du Saint-Laurent. Elle a tout juste eu le temps d'être nommée l'une des 25 personnes les plus stylées de la Ville Reine avant de déménager à New York.

Chroniqueuse de mode dans des magazines tels que Dress To Kill, elle a fait l'objet l'an dernier d'un reportage du magazine web Galore, qui s'intéresse à l'art de vivre contemporain, aux stars du rock et de la mode. Surfant sur une vague médiatique, Chloe Wise confond sphère privée et vie publique. Son existence hyperactive est une production journalière de contenu et de recherche de visibilité, explique-t-elle en entrevue à la galerie Division. «Produire quelque chose, c'est ma façon de vivre», dit-elle.

Le quotidien français Libération a publié ses bonnes adresses à Manhattan l'automne dernier, évoquant une «jeune artiste qui buzze». Quelques jours plus tard, des sites internet dont celui du Hollywood Reporter, faisaient mention d'une de ses oeuvres, Bagel no 5, un faux sac à main Chanel en forme de bagel (avec du faux fromage à la crème!).

La jeune actrice new-yorkaise India Menuez (Après mai, A Day to Kill) le portait fièrement en bandoulière lors d'un événement mondain organisé par les parfums Chanel en présence de Karl Lagerfeld et Gisele Bündchen. Une histoire de sac qui, du coup, a fait le tour de la Toile.

D'un réalisme inouï

Il est vrai que ses fameux sacs à main - qui traitent de séduction et d'esthétisme - n'ont pas fini de faire jaser. Car en plus de mener une vie trépidante, Chloe Wise est aussi et surtout une artiste imaginative, critique sans se prendre au sérieux et au talent indéniable.

Ses sacs sont des sculptures qu'elle a réalisées à partir de vrais (ou faux) sacs à main de luxe achetés sur l'internet. Elle n'en garde que la chaîne en anneaux et l'étiquette de cuir ou la plaque métallique sur laquelle est inscrit le nom de la marque. Ensuite, elle crée le corps principal du sac avec... des pancakes couverts de sirop, des sandwichs, des muffins avec le carré de beurre qui fond, des bagels au saumon ou des gaufres belges.

Tous ces aliments sont bien sûr en plastique (uréthane), fabriqués à partir de moules et d'un réalisme inouï.

Pour rendre son oeuvre crédible, Chloe Wise reconstitue avec précision les couleurs de chaque aliment: le Cheez Whiz qui dépasse des tranches de pain, la confiture de framboises avec leurs grains, le beurre d'arachide bien huileux. Tout a l'air vrai.

Son oeuvre Submissive Brunch est une grosse assiette contenant un petit-déjeuner hypercalorique avec une gaufre, un croissant à la cannelle, une tranche d'orange, une chocolatine et des gommes... déjà mâchées! L'assiette est reliée à une laisse, comme un chien, pour rappeler notre lien, voire notre soumission à une certaine attitude par rapport à la nourriture.

Stratégies de séduction

Chloe Wise puise aussi dans ses origines juives pour marquer ses oeuvres d'une certaine autodérision. De son assiette de la Pâque juive intitulée Seder Masochism part également une laisse. Le Seder est pour les juifs un rituel symbolique qui vise à se rappeler l'accession à la liberté après des années d'esclavage. Belle ironie.

L'artiste concède qu'il y a quelque chose d'énervant dans ces oeuvres qui énoncent certains aspects de notre consumérisme, de notre confiance envers l'industrie agroalimentaire et de nos traditions de malbouffe. Mais ces traditions sont si ancrées en nous qu'on ne peut les rejeter facilement.

La diplômée de Concordia traite aussi du fétichisme, du sadomasochisme, de futilité et du culte de l'apparence, notamment dans sa vidéo Offer Ending Soon!, où un groupe de jeunes mannequins, garçons et filles, séduit béatement tout en ne vendant aucun produit.

Chloe Wise rappelle que nous avons tous des désirs et lorsqu'ils sont comblés, c'est souvent parce que nous avons succombé à des stratégies de séduction. Son exposition colorée et humoristique est une exploration de ces désirs et une critique de la superficialité qui ravage notre époque. D'où son titre Pissing, Shmoozing and Looking Away.

Malgré son féminisme déclaré, Chloe Wise reconnaît avec honnêteté et lucidité qu'elle succombe pleinement au grand cirque de la séduction. Mais plus que tout, elle veut créer de l'art qui reflète la réalité du monde, notamment le sien. Et le faire avec humour.

CHLOE WISE EN BREF

24 ans.

Baccalauréat ès beaux-arts à Concordia en 2013.

Influencée par le duo d'humoristes Tim and Eric.

Fan d'égoportraits: elle est prend des dizaines chaque jour!

Le titre de son exposition provient de l'essai de Lauren Berlant, Two Girls, Fat and Thin, dans lequel l'auteure explique comment les habitudes formées autour du sexe et de la nourriture se développent, deviennent fiables puis s'interrompent.

Sa devise: Ne pas avoir peur de faire ce qu'on a envie de faire.

A participé à 19 expos collectives depuis deux ans, notamment au Frieze Art Fair de Londres.

En mai, elle exposera à Toronto.

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À la galerie Division (2020, rue William) jusqu'au 2 mai.