Chercheuse et artiste passionnée par les thèmes sociaux, la Suisse Ursula Biemann présente au Musée d'art contemporain une vidéo qui associe la pollution causée par les sables bitumineux albertains et la lutte des Bangladais contre une eau toujours plus envahissante.

Il y a deux ans, Ursula Biemann a présenté à la conférence Petrocultures, à Edmonton, une oeuvre vidéo intitulée Black Sea Files: Artistic Practice in the Field. La conférence examinait le rôle de l'industrie pétrolière dans la transformation sociale, culturelle et politique du Canada. En phase avec ce sujet, la vidéo évoque les intérêts pétroliers transnationaux et l'impact de cette industrie sur les populations. On peut la voir sur le site de l'artiste, geobodies.org.

Ursula Biemann a souhaité poursuivre ses investigations dans ce champ large et délicat, mais avec la casquette d'une géographe plutôt que celle d'une anthropologue, précise-t-elle en entretien téléphonique avec La Presse. Elle ajoute qu'elle s'intéresse aux matières premières « dans la mesure où elles ont des interactions avec les êtres humains ».

Elle avait profité de son séjour en Alberta pour aller tourner des images à Fort McMurray, là où sont exploités les sables bitumineux. Auparavant, elle s'était rendue au Bangladesh pour constater à quel point les populations côtières ont du mal à maîtriser la force des eaux du golfe du Bengale et de celles provenant de la fonte des neiges et des glaces himalayennes.

De l'Alberta au Bangladesh

Les questions liées à l'eau éveillent son intérêt depuis des années. Elle a réalisé, en 2012, l'installation vidéo Egyptian Chemistry, dans laquelle elle aborde notamment les défis hydrauliques, sociaux et économiques auxquels font face les populations riveraines du Nil.

Quand elle s'est retrouvée en Alberta, elle a compris qu'elle serait capable de lier la situation au Bangladesh à celle des champs pétrolifères albertains. Elle présente donc à la Biennale de Montréal Deep Weather, une vidéo qui met en relief la pollution de l'environnement albertain et celle de la nappe souterraine locale.

«J'ai appelé la vidéo Deep Weather parce que tout ce pétrole entre dans l'aquifère. C'est vraiment grave, car ce sont des dégâts qui prendront des siècles à s'atténuer. C'est une catastrophe à tous égards», laisse savoir Ursula Biemann.

Les images aériennes d'Ursula Biemann montrent la désolation d'immenses territoires pollués, notamment la rivière Athabasca. Ses prises de vue au Bangladesh sont tout aussi saisissantes. Dans le cas albertain, on assiste aux effets d'une intervention humaine en porte-à-faux avec la préservation des ressources vitales de la planète, soit les sols et l'eau. Dans l'autre cas, au Bangladesh, l'intervention humaine tend à corriger les effets du réchauffement climatique sur les sols et l'eau.

Cas locaux, problèmes mondiaux

La vidéo, explique Ursula Biemann, aborde une «question planétaire» avec deux cas locaux liés aux mêmes problèmes de régulation du climat mondial et d'exploitation durable des ressources.

«Au Bangladesh, ces gens qui transportent des sacs de boue pour préserver leurs terres sont des héros, dit-elle, car ils investissent dans l'avenir pour survivre, comme l'ont fait les Néerlandais en créant des polders. D'ailleurs, des ingénieurs hollandais les aident là-bas à drainer l'eau.»

La vidéo Deep Weather contient un commentaire d'Ursula Biemann en voix hors champ. Sa voix est chuchotante, comme si elle confessait les conséquences de l'activité industrielle. Mais Mme Biemann explique qu'elle a choisi ce ton pour exprimer une sorte d'intimité alors que les images frappantes parlent d'elles-mêmes...

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Au Musée d'art contemporain de Montréal jusqu'au 4 janvier, dans le cadre de la Biennale de Montréal.