Quelles sont les expositions à voir ce week-end? Chaque vendredi, nos critiques en arts visuels proposent une tournée montréalaise de galeries et de centres d'artistes. À vos cimaises!

Contemplation temporelle

Partagé entre l'enseignement à l'UQAM, la recherche et la production d'oeuvres, Alain Paiement n'avait pas exposé à Montréal depuis 2009. Il présente à la galerie Hugues Charbonneau, jusqu'au 20 décembre, l'exposition Irréversibles, premier volet d'une réflexion ouverte, notamment sur la perception du temps et notre approche de la nature.

Quand on entre dans la galerie Hugues Charbonneau, ces jours-ci, la salle principale, faiblement éclairée, a l'atmosphère d'un lieu de recueillement. Les images que l'on perçoit immédiatement sont celles, poétiques, de morceaux de glace défilant sur une sombre nappe liquide et de méduses semblant nager dans des profondeurs abyssales.

On a placé un banc afin de laisser le visiteur contempler ces images de fluides en mouvement ou plutôt de matières qui semblent bouger dans ces fluides. Toute une nuance...

Derrière Irréversibles, il y a un énorme travail étalé sur plusieurs années. Créées depuis 2010, les trois oeuvres principales sont réunies pour la première fois. Il s'agit de vidéos où le sujet est montré, dans chacun des cas, selon une boucle « infinie ».

L'artiste a fait en sorte que la transition entre la fin de la vidéo et les premières images ne soit pas perceptible. Alain Paiement a déjà montré deux de ces oeuvres à Toronto en 2013 dans le cadre de son exposition All Things Must Pass, en référence à l'album du même titre de George Harrison.

« Ce n'est pas le temps qui passe, c'est nous », dit Alain Paiement. Dans l'oeuvre Dérive, ce sont des blocs de glace blanchâtres qui passent sous le pont de Québec. Mais les blocs ne s'entrechoquent pas. Et l'on n'aperçoit pas le frémissement de l'eau. En fait, tout passe en bloc de droite à gauche. Sans référence d'échelle, on pourrait prendre cette image défilante énigmatique pour des cristaux pris dans une masse sombre et siliceuse.

Alain Paiement n'a pas filmé le passage de ces blocs : il a saisi la scène image par image, soudant ensuite le tout. Cela donne l'équivalent d'une immense photo de 3,5 km de long qui défile, donnant l'illusion d'un film infini.

Ballet de méduses

Les deux autres oeuvres vidéo, Lunes asynchrones et Sémaphore asynchrone, consistent en la projection de deux prises de vues asynchrones, c'est-à-dire n'allant pas à la même vitesse. Réalisée entre 2010 et 2012, Lunes asynchrones montre un magnifique ballet de méduses en train de se nourrir de microplancton.

Paiement les a filmées à l'Aquarium du Québec. Puis, il a traité les images - à l'aide d'un logiciel et d'un peu de programmation - pour qu'on ne discerne pas de fin dans ce film. C'est le même procédé que pour Dérives, mais il a représenté un défi supplémentaire parce que les méduses bougent sans cesse dans l'image, contrairement aux blocs de glace. Alain Paiement a donc recouru à la technique du time remapping. 

Quant à Sémaphore asynchrone, c'est une oeuvre plus petite mais tout aussi hypnotisante avec ses deux lumières d'un phare de Carleton qui tournent, chacune à sa vitesse.

Un phare qui prévient les bateaux d'un possible danger, des glaces qui fondent et des méduses qui se multiplient en raison du réchauffement climatique: trois oeuvres qui peuvent parler d'environnement, d'un laisser-aller politique, de choix qui sont faits ou qui ne le sont pas. Des oeuvres de fluidité qui peuvent aussi évoquer le temps, la finitude et l'infini. Une réflexion ouverte qu'a voulue cet artiste-chercheur, qui s'est aussi nourri d'événements personnels difficiles pour créer de la beauté et du sens.

Le deuxième volet de ce corpus sera constitué de photographies. Il sera présenté au même endroit l'an prochain. 

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À la galerie Hugues Charbonneau (édifice Le Belgo, 372, rue Sainte-Catherine Ouest, local 308), jusqu'au 20 décembre.

Alain Paiement en bref

Né à Montréal en 1960

Vit et travaille à Montréal

Maîtrise en arts visuels à l'UQAM en 1987

Professeur à l'École des arts visuels et médiatiques de l'UQAM depuis 2005

A exposé au Canada, en Inde, en Belgique, aux États-Unis, en Hongrie, en France, en Italie, en Colombie, en Espagne et en Finlande, notamment.

A remporté le prix Graff en 1997 et le prix Louis-Comtois en 2002

20 000 lieues sous les mers

Tout l'univers fantastique qui grouille dans l'eau, humain ou pas, imaginé ou réel. Voilà ce à quoi nous convient les dessins luxuriants de Kim Moodie.

Diplômé de Concordia enseignant à l'Université de London, en Ontario, Kim Moodie est un dessinateur minutieux, voire maniaque, qui plonge sous l'eau et en émerge avec un trésor insoupçonné, original, débordant d'imagination.

Ses oeuvres exposées en ce moment à l'Espace Robert Poulin ont été produites dans les sept dernières années. Il s'agit essentiellement de dessins noir et blanc à l'encre, quoiqu'on puisse voir aussi quelques pièces à l'huile et en couleurs.

Ses oeuvres sont peuplées d'objets et de personnages étranges, mythologiques, tissés à même un récit à inventer par le visiteur. Satyres, hommes-scaphandres, monstres marins, serpents de mer, figures mi-humaines, mi-animales...

Excentrés et excentriques

De loin, on dirait de ses grands formats qu'il s'agit d'oeuvres abstraites. De près, Moodie devient cet amiral dans son sous-marin, ce Nemo hors mode qui nous amène dans un voyage au fond des mers.

On peut lire de gauche à droite ou vice-versa, de haut en bas ou vice-versa. C'est un récit sans début et sans fin, sans figure centrale. Dessins excentrés et excentriques. 

De petits formats ressemblent à des études pour ses plus grandes fresques. Comme cette Hand of Fate, une main hibou rouge, noir et blanc avec quelques griffes déchirant un ciel en pleurs.

On pourrait penser aussi à des hiéroglyphes de civilisations perdues, sud-américaines ou mésopotamiennes. Les figures se perdent les unes dans les autres, souvent reliées par la bouche. 

Kim Moodie est un maître de la ligne fluide qui se perd à l'infini dans un monde fantastique où toutes les interprétations sont permises.

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À l'Espace Robert Poulin (372, rue Sainte-Catherine Ouest, local 411), jusqu'au 17 janvier 2015

PHOTO FOURNIE PAR L'ESPACE ROBERT POULIN

L'Espace Robert Poulin, où sont exposées les oeuvres de Kim Moodie.

Les autres expos à voir

Céline B. La Terreur

Au moment où le silence se brise partout quant aux violences faites aux femmes, passez donc chez Mme La Terreur. Cette installation sonore, basée sur le contenu du Livre noir de la condition des femmes, propose un exercice d'hypnose, de dessin et de performance. 

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À la Galerie Joyce Yahouda (372, rue Sainte-Catherine Ouest, local 516), jusqu'au 17 janvier 2015

Nicolas Ruel 

Le photographe Nicolas Ruel poursuit ses explorations en photomontage et en impression sur acier inoxydable. Voilà une belle collection d'oeuvres issues d'un véritable tour du monde: Rome, Tokyo, Paris, Istanbul et Montréal, notamment. Le photographe sera présent à la galerie demain de 14 h à 16 h 30.

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À la Galerie de Bellefeuille (1367, avenue Greene) du 6 au 16 décembre

Isabelle Leduc

En collaboration avec la Galerie Graff de Montréal, la Galerie du théâtre de Magog présente des oeuvres récentes d'Isabelle Leduc. Le titre choisi par la fille du regretté Fernand Leduc dit tout... avec un esprit ludique en prime: Archipapierpeinturesculptures! Couleurs et textures originales au menu.

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À la Galerie du théâtre de Magog (84, rue Merry Nord, local 200, Magog) jusqu'au 11 janvier 2015