Photographes fascinés par la lumière et son influx sur l'architecture, la chevronnée Jocelyne Alloucherie et le survenant Yann Pocreau ont le souci du risque. Ils partagent l'affiche de la Fonderie Darling jusqu'au 8 décembre avec deux installations pour lesquelles ils se sont aventurés au-delà de leurs propres balises. La première fait une rare incursion dans la vidéo. Le second s'essaie dans le film d'animation et la mise en scène in situ.

Pour sa deuxième collaboration avec le commissaire Sylvain Campeau, Jocelyne Alloucherie propose à Darling une installation en noir et blanc qui s'intègre bien dans la grande salle de la fonderie, avec ses fenêtres couvertes de rideaux noirs ne laissant échapper que des filets de lumière.

Jusque-là, elle n'avait jamais expérimenté la vidéo pour un projet de grande ampleur, comme celui de Dédale, pour lequel elle a filmé de nombreuses ruelles de Montréal. Dédale est présenté sur trois écrans verticaux, un triptyque vidéographique où chaque segment est indépendant, les prises de vue ayant des longueurs variables, ce qui crée une continuité assez douce entre les images.

On retrouve le silence et le calme des ruelles de la ville. La silhouette d'un passant. Des touristes qui prennent une photo. Des cyclistes qui traversent la rue au loin. Les ombres des arbres, des murs et du linge qui pend. Le regard d'Alloucherie est tout entier dans ce côté caché et poétique des choses et dans cette façon unique de sculpter avec la lumière.

«J'ai traité chaque image comme je l'ai fait avec les photographies, en accentuant les contrastes, en désaturant certaines couleurs et en donnant une tonalité plus froide, dit-elle. Cela donne une qualité photographique aux images.»

L'installation Dédale comprend des ouvertures créées par de gros blocs blancs à travers lesquels on peut observer le film. Une architecture qui urbanise le travail de l'artiste et dramatise ses images. Un paysage urbain recréé en déambulation.

La bande sonore a été travaillée pour en extirper les bruits d'autos. On entend les feuillages, les écureuils, une respiration urbaine et naturelle. Les ruelles filmées durant les quatre saisons (sauf quand il y a de la neige pour éviter la carte postale) prennent une allure romantique et rappellent Occident, son projet de 2006 jamais exposé au Québec, mais montré au Grand Palais de Paris en 2008. Elle l'a donc reconfiguré à l'entrée de la salle afin de nous conduire à Dédale. Bonne idée.

Projections

Yann Pocreau a lui aussi vécu de nouvelles expériences en atelier depuis près de deux ans, pour aller au-delà de ses rencontres entre structure et lumière sur photos grand format. Sa recherche l'a mené sur la piste de vieilles cartes postales d'églises françaises en noir et blanc qui l'ont conduit à créer Projections, qui comprend notamment deux installations.

Il a ainsi créé un film en 16 mm, Projection (au singulier), qui diffuse la photo de la rosace de la Sainte-Chapelle, église parisienne datant de 1248. Cette reproduction d'une carte postale agrandie cinq fois ne rend que très peu compte de la lumière qui transperce réellement la rosace. En effet, Pocreau a gratté des milliers d'images de sa pellicule pour faire apparaître la lumière artificielle du projecteur en lieu et place de la rosace. Un travail de moine sur le thème de la lumière dont le résultat laisse un peu interdit.

L'installation Cathédrale est plus parlante. Yann Pocreau a reproduit, à l'échelle, une partie intérieure de la cathédrale de Chartres. Véritable décor de cinéma, la murale photographique de 14 m sur 3,85 m est transpercée de trois trous (faits dans le mur) d'où jaillit la lumière, tout près de deux colonnes de la salle qui évoquent celles d'une nef.

Cathédrale révèle la photo que Yann Pocreau n'a jamais réussi à prendre, soit ces rayons de soleil puissants et concentrés qui passent à travers un orifice, comme dans les églises avec un vitrail ou une fenêtre ouverte. Il a travaillé l'éclairage avec le concepteur François Marceau pour reproduire cet effet fort réussi. Les contrastes entre l'obscurité de la salle et le faisceau irradiant qui provient de derrière la murale sont réalistes. La lumière est vivante. On peut la toucher, sentir sa chaleur et la visualiser grâce à une légère poussière mise en mouvement par un système discret.

Ne manque que le corps habituellement théâtral de Yann Pocreau. «La seule présence de mon corps, ce sont les trous faits à la main», dit-il.

________________________________________________________________________________

Dédale de Jocelyne Alloucherie et Projections de Yann Pocreau à la Fonderie Darling jusqu'au 8 décembre.