Plus de 700 millions $ d'objets de collection ont été adjugés ces derniers jours à Hong Kong, avec une série de records planétaires: le marché de l'art asiatique est à nouveau en effervescence et la concurrence s'aiguise entre maisons de vente chinoises et étrangères.

Entre les géants Christie's et Sotheby's qui se «sinisent», et leurs rivaux orientaux Poly et Guardian qui s'internationalisent, les gagnants ne seront pas forcément ceux qu'on imagine, préviennent les experts.

Rien ne permet en effet de savoir si Pékin va réellement lever les restrictions qu'il impose, au nom de la protection du patrimoine, aux étrangers souhaitant opérer en Chine.

Et les sociétés chinoises, qui ont connu un essor fulgurant en dix ans, tirent le meilleur parti de ces obstacles.

Elles se permettent de tailler des croupières aux institutions occidentales dans leur ancienne chasse gardée régionale, Hong Kong. Guardian et Poly viennent d'organiser leurs ventes les plus ambitieuses dans l'ex-colonie britannique, bénéficiant de l'afflux des riches Chinois à l'occasion de la semaine nationale fériée en République populaire.

Sotheby's, qui fêtait en même temps ses 40 ans de présence en Asie, a toutefois réussi à conserver la part du lion et le haut de l'affiche, grâce à des pièces exceptionnelles: 30 millions $ - et record du monde - pour un diamant blanc, 23 millions $ pour une toile du peintre Zeng Fanzhi - record du monde pour un artiste chinois contemporain -, 30 millions $ pour un bronze doré du bouddha Shâkyamuni - record du monde pour une statue chinoise -, 18 millions $ pour un bol impérial en porcelaine, etc.

Collectionneurs et spécialistes sont d'accord: le marché de l'art chinois a retrouvé son dynamisme, après une contraction inattendue en 2012 qui a permis à New York de reprendre à Pékin la première place mondiale. La Chine était toutefois restée largement en tête du produit des ventes des objets d'art et de collection.

Pas étonnant dans ce contexte que les sociétés étrangères poussent leurs pions en Chine, sur la piste de ses nombreux millionnaires.

«Aujourd'hui la grande majorité de l'argent chinois dépensé dans l'art sert à acheter de l'art chinois. Les vendeurs occidentaux sont très désireux d'oeuvrer à élargir cette demande», souligne la juriste Nancy Murphy, experte du marché de l'art chinois.

La maison londonienne Spink and Son, fondée en 1666, a récemment relocalisé son président à Hong Kong en y constatant ses «affaires florissantes».

Après des années à piaffer d'impatience, Christie's a organisé fin septembre à Shanghai ses premières enchères en Chine continentale. Une vente mi-figue, mi-raisin, étant donné l'interdiction faite aux sociétés étrangères de vendre des antiquités, telles que céramiques ou calligraphies anciennes.

Sotheby's a de son côté annoncé mardi qu'une oeuvre du peintre franco-chinois Zao Wou-Ki, décédé en avril, serait la vedette de sa deuxième vente aux enchères, le 1er décembre à Pékin.

La fourchette d'estimation de cette toile, issue des collections du Art Institute of Chicago, est de 5,7 à 7,3 millions $, a précisé Sotheby's jeudi soir.

Experte depuis plus de 20 ans en Chine, Meg Maggio ne croit cependant pas à une percée continentale des institutions occidentales.

«Elles viennent car elles y sont forcées. Elles ont perdu leur prédominance à Hong Kong», explique à l'AFP la galeriste américaine. Mais «Christie's et Sotheby's ne vont obtenir qu'une toute petite part du gâteau. Ce qu'elles recherchent c'est attirer davantage d'acquéreurs (chinois) à leurs ventes de New York, Londres, Paris».

«Le marché de l'art en Chine, c'est d'abord les antiquités», secteur où les entreprises chinoises sont ultra favorisées, insiste Mme Maggio.

Elles prospèrent de surcroît sur de solides bases politiques. Poly Auction (numéro 3 mondial) fait partie d'un conglomérat d'État contrôlé par l'armée et dirigé par le gendre de l'ex-numéro un chinois, Deng Xiaoping. Le cofondateur de Guardian, numéro 5 mondial, Chen Dongsheng, est lui marié à une petite-fille de Mao Tsé-toung.

Dans la presse chinoise, le directeur général de Poly Auction, Zhao Xu, a d'ailleurs affirmé ne pas redouter l'arrivée des maisons étrangères, compte tenu de la loi en vigueur.

Mme Murphy s'attend à un «lent assouplissement» de ces régulations, débouchant sur une concurrence plus saine.

Dans l'autre sens, le mouvement pourrait être plus rapide. À grand renfort de publicité, les maisons chinoises tentent de convaincre les collectionneurs occidentaux de passer par elles pour acheter et vendre. Poly a ouvert un bureau à New York.

«La Chine sort faire son marché. Les Européens et les autres sont au contraire plutôt en train de vendre», résume Meg Maggio.