Poétique, inquiétant ou dramatique, le récit est le fil rouge de la 12e Biennale d'art contemporain de Lyon, qui s'ouvre jeudi et réunit 77 artistes du monde entier jusqu'au 5 janvier, dont Jeff Koons, Yoko Ono et Matthew Barney.

«Il est question de récit visuel ou, plus exactement, de comment les artistes racontent», résume Thierry Raspail, directeur de la Biennale, pour qui la manière de raconter «semble aujourd'hui plus importante» que le fond du message.

Depuis sa création en 1991, la manifestation lyonnaise définit un thème pour trois éditions successives: après «Histoire», «Global» et «Temporalité», «Transmission» achève son cycle entamé en 2009.

Le commissaire de cette 12e Biennale, Gunnar B. Kvaran, directeur du musée Astrup Fearnley à Oslo, a poussé les artistes à interpréter cette transmission comme un récit, pour qu'ils «imaginent les narrations de demain».

Seul point commun souligné par le commissaire, le souci de «restituer au monde son étrangeté et sa complexité», loin des «suspenses et des excitations» de la fiction hollywoodienne ou des best-sellers.

Certains artistes font directement référence à l'actualité, comme les fresques aux airs de BD de l'Islandais Erro, For Pol Pot et God Bless Bagdad, ou les dessins hyperréalistes de l'Américain Karl Haendel sur la tuerie d'Aurora.

«Ce n'est pas seulement une question d'armes à feu. Il s'agit de peur, de culture, de violence politique, de violence de classe, de violence sexuelle», énumère l'artiste, qui privilégie le dessin pour inciter le spectateur «à ralentir» et à s'arrêter sur l'image.

Hanté par la catastrophe de Fukushima, le Japonais Nobuaki Takekawa crée de son côté, avec une grande délicatesse, un monde nucléarisé où une vaste galère «poursuit sa course dans une direction inconnue, propulsée par d'anonymes rameurs».

Bip Bip et Coyote

D'autres évitent toute référence politique et privilégient l'intime, comme Yoko Ono, qui rend hommage aux mères du monde (My mummy was beautiful), ou reproduit les rêves que les internautes lui ont confiés sur Twitter (Summer Dream).

Potache, le Français Antoine Catala fait de ses sculptures un rébus, tandis que l'Américain Dan Colen met en scène une course-poursuite remarquée impliquant Bip Bip, Vil Coyote et l'artiste lui-même, nu.

À l'opposé de ces oeuvres figuratives, d'autres récits frôlent l'abstraction, comme les vidéos poétiques des Japonais Hiraki Sawa (Did I?) et Takao Minami (Fat Shades), ou la chouette d'Ann Lislegaard en hommage à Blade Runner.

Certains artistes jouent avec l'idée même de narration, notamment le jeune Français Neïl Beloufa (Superlatives and Resolution), qui fragmente des témoignages filmés en multipliant les supports de projection - écrans, morceaux de papier, matériaux bruts.

«Les supports utilisés sont très différents et vont des plus conventionnels - peinture, dessin - aux logiciels créés par des artistes sortis de filières scientifiques, dont les oeuvres "s'autogénèrent"», décrypte Thierry Raspail.

Inaugurée mercredi soir par la ministre de la Culture Aurélie Filippetti, l'exposition se déploie sur plus de 10 000 m2 répartis en cinq lieux: la Sucrière, le Musée d'Art Contemporain, la Fondation Bullukian, la Chaufferie de l'Antiquaille et l'église Saint-Just.

Parallèlement, plus de 200 manifestations seront organisées dans toute la région pour la Biennale off, baptisée «Résonances». Enfin, dans six communes autour de Lyon, une centaine de lieux accueilleront des oeuvres et organiseront rencontres et ateliers.

Photo Blaise Adilon

Livin and Dyin de Dan Colen