Deux expositions de photos sur Haïti ont débuté à Montréal. D'abord, Kanaval au Centre Phi, avec les images en noir et blanc de la photographe britannique Leah Gordon, et Haïti. Chaos et quotidien au Musée McCord, des images plus récentes du photographe québécois Benoît Aquin. Deux artistes qui célèbrent l'île des Caraïbes, sa mémoire et sa dignité.

Le Musée McCord, qui accorde un intérêt régulier aux photographes montréalais, expose 40 photographies en couleurs de Benoît Aquin accompagnées d'extraits de livres de Dany Laferrière. Benoît Aquin a visité régulièrement Ayiti, la «terre des hautes montagnes». Il y a même vécu quand il avait 4 ans.

Est-ce dû à cette immersion précoce ou au fait qu'il ait été marié à une Haïtienne, en tout cas il a l'oeil avisé pour dresser, en 40 cadres bien choisis, un portrait fascinant du Haïti d'aujourd'hui.

L'exposition débute par des clichés saisissants pris quelques jours après le séisme du 12 janvier 2010, qui fit 220 000 morts et un million de personnes déplacées. Des photos de destruction et de mort, des images sur les soins donnés dans des hôpitaux à ciel ouvert et sur le travail de secouristes israéliens cherchant des victimes avec des chiens.

Des photos sur les camps improvisés près de carcasses d'avions, mais aussi des photos d'espoir comme celle où une femme affiche un sourire éclatant à deux pas d'un poste de télé dérisoire rescapé du désastre, illustrant l'opiniâtreté et la foi de ce peuple qui en a vu bien d'autres.

«C'est un travail émotionnel que j'ai essayé de faire le plus intuitivement possible, explique Benoît Aquin. Ç'a été un voyage éprouvant. Quand je suis revenu, j'ai eu envie de pleurer presque chaque jour. Ça a été très dur.»

L'exposition montre la vie qui n'a pas tardé à germer de nouveau. Les cérémonies de vaudou, les enfants qui jouent, malgré tout, dans la fumée et la désolation, et ces Haïtiens qui s'engouffrent à mobylette dans une rue bondée un jour de marché. Une photo qui rappelle les tableaux naïfs et colorés de la peinture haïtienne traditionnelle.

«Ce désastre aura fait apparaître, sous nos yeux éblouis, un peuple que des institutions gangrenées empêchent de s'épanouir, écrit Dany Laferrière. Il aura fallu que ces institutions disparaissent un moment du paysage pour voir surgir, sous une pluie de poussières, un peuple digne.»

Miroir de la jeunesse

Leah Gordon le connaît aussi, ce peuple digne. Au Centre Phi, la commissaire Cheryl Sim a opté pour la créativité d'Haïti en sélectionnant 12 grandes photos que l'artiste britannique a prises à Jacmel, une ville de la côte sud d'Haïti, de 1995 à 2009, durant le carnaval.

Qu'ils soient déguisés en ange, en esclaves, en juges ou en fantôme, les Haïtiens, jeunes et moins jeunes, sortent de façon rituelle dans la rue à l'occasion de mardi gras.

Comme avec les photos de Benoît Aquin, on retrouve cet art que possèdent les Haïtiens de passer outre l'adversité et de commémorer leur identité. Sur un cliché, une femme s'est transformée en Madanm Lasiren (Madame Lasirène). Avec son masque en carton peint sur le visage, son ombrelle, ses bijoux, son chapeau sur la tête et une poupée à la main, elle a l'air surréaliste et évoque les déguisements des carnavals européens au Moyen-Âge.

Par contre, avec Eugène Lamour, son tricorne et ses énormes dents, on entre dans l'histoire haïtienne avec celle du policier Charles Oscar, qui tua 500 prisonniers et fut lynché par la foule, la photographie rappelant l'héritage violent de l'île.

Enfin, les photos Kouvrefe (Couvre-feu) et Lansè Kòd (Les lanceurs de corde), dans lesquelles les jeunes ont enduit leurs corps de kleren (alcool de canne à sucre), de charbon écrasé et de sirop de canne, sont à la fois un miroir de la jeunesse haïtienne et un exemple de l'importance qu'elle accorde à son histoire. Inspirant.

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> Kanaval, de Leah Gordon, jusqu'au 27 avril au Centre Phi.

> Haïti. Chaos et quotidien, de Benoît Aquin, jusqu'au 12 mai au Musée McCord.